Notre invitée est Niagalé Bagayoko, politologue, présidente du African Security Network (Réseau africain du secteur de la sécurité). Elle réagit aux tensions entre la Cédéao et les trois pays de l'Alliance des Etats du Sahel: Niger, Mali et Burkina Faso. Alors que ces trois pays dirigés par des militaires affirment que la rupture avec l'organisation ouest-africaine est irrévocable, la Cédéao tente un nouveau rapprochement. Est-ce que la tentative va aboutir ?
Entretien avec Niagalé Bagayoko
DW : Le week-end dernier se sont tenus en Afrique de l'ouest deux sommets. D'abord samedi, à Niamey, a eu lieu le premier sommet de l'Alliance des Etats du Sahel. Ensuite, le lendemain s'est tenu, à Abuja, au Nigéria, le 65è sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de la Cédéao. Bilan : les pays membres de l'AES et la Cédéao ont acté leur divorce?
Oui, c'était bien sûr prévisible étant données les déclarations très claires qui ont été faites par les trois pays de l'AES.
En revanche, on voit que, du côté de la Cédéao, on fournit toujours des efforts, pour oeuvrer en faveur d'un rapprochement.
D'où la nomination de deux facilitateurs parmi les chefs d'Etat de la Cédéao : d'une part, Faure Gnassingbé qui, depuis le début, cherche à incarner la figure de médiation, la courroie de transmission entre les pays du Sahel et le reste de la communauté ouest-africaine, et, d'autre part, le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, désigné, je pense, parce qu'il porte aussi une vision du néo-panafricaniste qui, par certains aspects, se rapproche de celle dans laquelle se reconnaissent les opinions publiques sahéliennes.
DW : Vous parliez à l'instant de Bassirou Diomaye Faye, le président sénégalais, avec son homologue togolais Faure Gnassingbé, ils ont été désignés par leurs pairs comme facilitateurs. Est-ce que leur mission sera facile ?
La question qui se pose est celle de savoir dans quels domaines vont essayer de négocier ces chefs d'Etat dont Bassirou Diomaye Faye pour un retour des Etats du Sahel dans la Cédéao.
e pense que, pour tout ce qui est question de sécurité, la rupture est véritablement consommée parce qu'il y a une défiance ou même, pire, un constat d'échec absolu de la Cédéao dans la façon dont elle a cherché à ne pas faire face en réalité à la menace terroriste, selon l'interprétation des Etats du Sahel.
En revanche, dans les domaines économiques, il ne me paraît pas inenvisageables que des voies de coopération soient trouvées, et on pense notamment à cette fameuse Autorité pour le développement intégré du Liptako-Gourma qui ne réunit que les trois Etats du Sahel depuis 1970, autour des questions d'ordre économique. Et on voit très bien qu'une ambition économique a été ajoutée au-delà de l'ambition sécuritaire, et c'est sans doute à cet égard que des liens pourront être éventuellement développés entre les différentes entités.
DW : Au terme de leur conférence, les chefs d'Etat et de gouvernement de la Cédéao ont énuméré une série de conséquences relatives au retrait de l'institution sous-régionale de ces trois pays de l'AES dans la libre circulation des biens et des personnes qui pourrait être affectée.
Mais ce sont des mesures qui sont tout simplement indispensables, dans la mesure où cette question de la libre-circulation est absolument essentielle dans la sous-région.
D'ailleurs l'AES elle-même affirme vouloir mettre en place des dispositifs visant à favoriser la libre-circulation entre les ressortissants des trois Etats. Mais il ne faut pas oublier que, même à l'époque où les Etats du Sahel faisaient partie de la Cédéao et pour ceux qui y appartiennent encore aujourd'hui, il existe un grand nombre de barrières de type informel à l'exercice de cette libre-circulation, notamment avec de la taxation illégale, illicite, que ce soit des personnes ou des biens.
DW : On a également noté l'absence de certains chefs d'Etat de la sous-région, notamment le président ivoirien, Alassane Ouattara, son homologue togolais Faure Gnassingbé, ou encore le Béninois Patrice Talon. Comment est-ce que vous expliquez ces absences?
Le Togo a une position particulière, le Bénin, lui, se trouve dans une position particulièrement inconfortable, notamment en raison de son différend qui reste extrêmement vif avec le Niger. Je pense que ce sont ces questions-là qui explique nt ces absences remarquées.
DW : Il existerait un clivage au sein de la Cédéao entre francophones et anglophones: info ou intox ?
Cette tension a toujours existé. Il y a un vrai clivage interne à l'organisation y compris en ce qui concerne l'usage des langues de travail. Donc, je pense qu'il y a un certain nombre de ruptures, de fissures en tout cas, qui ont commencé à se faire jour à bas bruit et qui éclatent aujourd'hui de manière publique.