Agir contre l'oubli
8 mai 2014À Munich, la capitale de la Bavière, le plus important centre culturel s'appelle le « Gasteig ». C'est un immense bâtiment, où des milliers de visiteurs viennent chaque jour pour aller à la bibliothèque, y écouter un concert ou voir un film. C'est dans ce lieu très en vue que la police de Munich a décidé d'exposer son passé peu glorieux. Un geste délibéré, explique le commissaire Walter Nickmann qui fait la visite guidée. « L'idée, c'est « agir contre l'oubli ». Nous voulons rappeler à chacun combien la démocratie est une chose délicate, et que tout peut basculer de nouveau dès que la situation politique ou économique se détériore. »
C'est ce que montre le début de l'exposition. Juste après la Première guerre mondiale, l'Allemagne est officiellement une démocratie – mais la société est déchirée entre les tendances d'extrême gauche et d'extrême droite. À la faveur de ce chaos politique, les nationalistes prennent la tête de la police de Munich et inculquent aux policiers la culture de traiter les socialistes et les communistes à coup de bâton. Les extrémistes de droite, en revanche, sont laissés en paix. Parmi eux, un certain Adolf Hitler, qui habite à Munich depuis quelques années, et ne cesse d'haranguer les foules contre les Juifs.
Le guide de l'exposition, Walter Nickmann, a lui-même fait les recherches sur la police entre 1919 et 1933. Dans les archives, il a trouvé une déclaration de l'un des chefs de la police au début des années 20, Wilhelm Frick, dans laquelle il explique « que le président de la police, Heinz Pöhner, et lui-même ont sciemment choisi de protéger les nazis. Ils étaient sûrs que ce tout petit groupe de personnes avait la capacité de grandir, de s'implanter au sein du prolétariat – comme il dit – "contaminé" par les marxistes et ramener les ouvriers dans le camp nationaliste. »
En clair : sans l'aide de la police de la ville de Munich entre 1919 et 1923, Hitler ne serait peut-être pas devenu ce qu'il est devenu. En effet, , un autre président de police va un peu plus tard tenter de redresser la barre et de bloquer la montée des nazis, mais sans succès : le parti d'Hitler, le NSDAP, est déjà trop ancré dans la population pour être éradiqué. En 1933, il remporte haut la main les élections législatives.
Munich en avant-poste
À Munich, Heinrich Himmler prend alors la tête de l'appareil policier. Himmler, ce n'est pas n'importe qui. Il est l'un des fidèles d'Hitler et deviendra plus tard, le numéro 2 de la dictature nazie, juste derrière le Führer. Sous la houlette de Himmler, les tendances d'extrême-droite de la police munichoise cultivées 10 ans auparavant refont très rapidement surface. Walter Nickmann.
« On le voit dès les premières semaines : il y a plus de 5000 arrestations parmi les syndicalistes, les socialistes et les communistes. Et ce n'est pas un hasard non plus si le 20 mars 1933 – soit à peine 10 jours après la prise de pouvoir des nazis en Bavière ! – un camp de concentration est créé à Dachau, juste à côté de Munich. Ce camp, qui va d'ailleurs au tout début être surveillé par des policiers, va servir de modèle à tous ceux qui vont suivre. Et l'on voit ainsi qu'au moins au début de la dictature nazie, Munich avait une position spéciale. »
Perte du sens éthique
Avec l'affermissement du pouvoir nazi dans toute l'Allemagne, la capitale bavaroise et sa police deviennent des rouages normaux de la dictature. À Munich comme ailleurs, les gardiens de la loi se transforment souvent en barbares. Ils arrêtent, interrogent, terrifient et torturent Juifs, homosexuels, Roms, et tous les opposants qui ne plaisent pas à Hitler. À part un badge, rien ne les distinguent des unités spéciales que sont les SS ou les SA. Durant la guerre, environ 5000 policiers munichois sont par ailleurs envoyés à travers toute l'Europe, pour arrêter puis exécuter les résistants. Le guide de l'exposition, le commissaire Walter Nickmann.
« Un général de l'armée régulière allemande, la Wehrmacht, écrit que ses soldats sont écœurés par les atrocités commises par la Gestapo et les bataillons de policiers. On voit à ce genre de témoignage que les policiers avaient perdu tout sens éthique. »
À la fin de la guerre, en 1945, les polices municipales allemandes ne font pas partie des organisations que les Alliés jugent systématiquement, comme la Gestapo ou les SS. Conséquence : des dizaines de milliers de fonctionnaires font profil bas et vont ainsi rester de nombreuses années à leur poste sans être inquiétés.
Apprendre du passé
Bernhard Pfeiffer est lui-même policier à Munich aujourd'hui. Au vu de tout ce qu'il vient d'apprendre sur son employeur, il n'est pas étonné que la police munichoise ait mis plus de 70 ans avant de lever un coin du voile sur son passé. « Toutes les institutions ont mis du temps à se confronter à leur passé. On a attendu jusqu'à ce que des responsables aient plus de 90 ans et ne puissent plus se présenter devant un tribunal pour, tout d'un coup, les retrouver aux États-Unis ou ailleurs. J'ai l'impression que c'est la même chose avec la police. On a attendu bien longtemps pour vouloir dire les choses. » Le policier Pfeiffer quitte l'exposition. Il veut maintenant réfléchir à la façon dont il réagirait si ses chefs lui demandaient de faire quelque chose d'anti-démocratique, explique-t-il.