L'Allemagne et le charbon sale de Colombie // Constat amer en France, 40 ans après la "Marche des Beurs"
Les Colombiens l'appellent "El monstruo" - le "monstre" en français. El Cerrejón est la plus grande mine à ciel ouvert d'Amérique latine, située dans le nord de la Colombie. Sur 69.000 hectares, soit l'équivalent de presque 100.000 terrains de football, on y extrait chaque année environ 20 millions de tonnes de charbon exporté dans le monde entier, et notamment vers l'Allemagne, encore très dépendante du charbon pour sa production d'électricité.
Délocalisations forcées pour les besoins de la mine
C'est le groupe Glencore qui exploite la mine depuis 1995. En 2022, son chiffre d'affaire annuel s'élevait à 256 milliards d'euros. Et comme en Allemagne, où nous vous avions déjà parlé de Garzweiler, la plus grande mine à ciel ouvert d'Europe, en Colombie aussi on délocalise des villages entiers pour laisser libre cours à l'exploitation du charbon. Le village de Greylis Pinto, Chancleta, a été délocalisé de force il y a onze ans.
"La situation actuelle de la communauté de Chancleta est très critique. Nous avons été expulsés de notre territoire, où nous avions tout, l'eau, la souveraineté alimentaire. Aujourd'hui, il n'y a rien. Il n'y a pas d'eau, il n'y a pas de soins de santé, pas de souveraineté alimentaire, il n'y a pas de programmes sociaux pour nos enfants, nos jeunes et nos handicapés... Il n'y a pas d'emploi."
Greylis Pinto est actuellement en tournée en Europe avec une délégation de militantes des droits humains, pour attirer l'attention sur la situation précaire des communautés littéralement englouties par la mine. Tatiana Cuenca, coordinatrice du programme Eau et Conflits miniers de l'organisation colombienne de protection de l'environnement Censat Agua Vida, fait partie de la délégation.
"Pour qu'il y ait une véritable transition énergétique, il faut prendre en compte les impacts cumulés de ces 40 années d'extraction de charbon, dont l'Allemagne a également bénéficié en tant qu'acheteur. La Guajira est la région la plus pauvre de Colombie. Les conditions de vie y sont très précaires, les communautés sont littéralement affamées et il a été prouvé qu'au cours des dix dernières années, au moins 5.000 enfants sont morts de malnutrition et de faim."
Glencore accusé de violations des droits humains, entre autres
Le rapport "Does Cerrejón always win?", publié par plusieurs organisations dont Oxfam, établit une liste détaillée des impacts de l'exploitation de charbon à El Cerrejón : destruction et pollution des forêts, des nappes phréatiques et des rivières, augmentation des maladies respiratoires et des cancers, attaques régulières contre les militants et absence de réparation adéquate après les expulsions forcées comme à Chancleta...
Des accusations que balaie Glencore, géant mondial de l'exploitation minière et du commerce de matières premières. La société renvoie aux millions de dollars versés pour financer des initiatives sociales et environnementales dans la région. Et assure respecter les principes directeurs des Nations unies en matière de droits humains.
Carolina Matíz, de l'organisation de défense des droits humains CINEP, maintient pour sa part les reproches envers Glencore :
"L'objectif est de rendre visible ce qui se passe à La Guajira, mais il est également très important pour nous de montrer la relation entre l'exploitation du charbon, les violations des droits de l'homme et le secteur financier investissant en Europe, car Glencore opère en Colombie depuis plusieurs années et au moins 50% de ses activités sont financées par des banques et des investisseurs européens."
Les entreprises allemandes en profitent
Depuis le début de la guerre russe en Ukraine, l'Allemagne importe davantage de charbon des Etats-Unis, d'Australie et donc, aussi, de la Colombie : près de trois millions de tonnes en 2023 depuis ce seul pays. Des sociétés du secteur énergétique allemand comme EnBW, RWE et Steag participent à ce commerce lucratif, ainsi que des banques et des assurances qui émettent des obligations, actions, crédits et garanties pour Glencore.
Tilman Massa, de la Fédération des actionnaires critiques, estime que les entreprises allemandes ont l'obligation de faire valoir la loi sur la chaîne d'approvisionnement, en vigueur en Allemagne depuis le 1er janvier 2023. Cette loi oblige les entreprises à respecter les droits humains dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Mais si le secteur financier n'a pas encore été intégré à la loi...
"Pour nous, ce cas est un test grandeur nature pour mesurer l'efficacité de la loi, c'est-à-dire que le gouvernement fédéral doit veiller à ce que les entreprises la mettent bien en œuvre. Et au moins dans le cas des livraisons de Colombie par Glencore, veiller à ce que les normes sociales et environnementales soient respectées au minimum, pas seulement sur le papier, mais aussi dans la réalité en Colombie."
L'Allemagne hésite à abandonner le charbon
Le ministère fédéral de l'Economie et de la Protection du Climat (BMKW) a réagi par écrit, disant avoir "pris connaissance des accusations portées envers l'entreprise Glencore". Il ajoute s'attendre "à ce que les importations allemandes de charbon en provenance de Colombie diminuent à moyen terme car l'Allemagne devrait idéalement abandonner la production d'électricité à partir du charbon d'ici à 2030, ou au plus tard d'ici à 2038".
En outre, le ministère soutient la Colombie "dans la sortie du charbon et dans un tournant énergétique socialement équitable, notamment avec des subventions et des offres de conseil dans le cadre de l'initiative internationale pour la protection du climat et de l'adhésion des deux pays à l'Alliance internationale Powering Past Coal (PPCA)".
2030 ou 2038... les discussions autour de la sortie du charbon ont justement été relancées récemment par le ministre allemand des Finances, Christian Lindner. Début novembre, il affirmait dans la presse que l'objectif de 2030 était irréaliste "tant qu'il n'est pas clair que l'énergie est disponible et abordable"...
Glencore, de son côté, devrait exploiter la mine d'El Cerrejón jusqu'en 2034.
Entre valeurs et Realpolitik
Claudia Kemfert, directrice du département Energie, transport et Environnement à l'institut allemand de recherche économique, juge l'importation de charbon colombien déja dépassée, surtout depuis que l'Allemagne a édicté des règles éthiques pour sa politique étrangère :
"Si on se base sur une politique étrangère fondée sur des valeurs, ce type de commerce n'a plus lieu d'être. Par ailleurs, nous pouvons aussi acheter du charbon ailleurs dans le monde. Il ne s'agit pas d'un monopole, on n'est pas obligé d'acheter à un fournisseur particulier."
Pour l'experte, on peut trouver des fournisseurs qui respectent davantage les droits humains et l'environnement, et cela ne vaut pas seulement pour le charbon:
"C'est également valable à l'avenir, par exemple pour l'hydrogène vert, où nous aurons à nouveau une thématique similaire, ou bien pour les contrats de livraison que nous concluons actuellement avec l'Afrique."
Selon Claudia Kemfert, l'Allemagne est aussi un peu responsable de toute cette discussion sur le charbon sale de Colombie. La sortie du charbon aurait pu avoir lieu depuis longtemps si le tournant énergétique n'avait pas été autant retardé.
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40 ans après la Marche des Beurs en France, d'autres "Marcheurs" ont pris la relève
Vu d'Allemagne en parlait déjà il y a quelques semaines : en France, on se souvient ces temps-ci de la Marche pour l'Egalité et contre le racisme, il y a 40 ans. Le 3 décembre 1983, un groupe de jeunes d'origine maghrébine partis de Marseille quelques semaines plus tôt pour dénoncer les crimes racistes et réclamer l'égalité des droits, arrivait à Paris. Ils ont été reçus par le président de l'époque, François Mitterrand.
40 ans plus tard, les marcheurs d’hier portent un regard souvent amer sur les manquements, les échecs, les promesses non tenues des politiques et sur l'enfermement dans lequel vivent encore, trop souvent, les habitants des quartiers populaires... Depuis cette marche, une nouvelle génération de militants des quartiers populaires a vu le jour et tente, tant bien que mal, de continuer à porter les revendications des Marcheurs de 1983. Un reportage de Nadir Djennad.
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