Saviez-vous que l'Allemagne n'a reconnu que dans un passé récent être un "pays d'immigration" ? Pendant longtemps, la République fédérale a nié l'évidence, malgré la présence de plus de quatre millions de "Gastarbeiter", ces "travailleurs invités" durant les Trente Glorieuses pour travailler notamment dans l'industrie.
Il a fallu attendre 2005 et la première loi sur l'immigration, adoptée sous Angela Merkel, pour que l'Allemagne reconnaisse être un pays d'immigration.
C'est de cet acquis que part l'exposition "Wer wir sind" ("Qui nous sommes"). Elle se tient jusqu'en octobre à la Bundeskunsthalle de Bonn, dans l'ouest de l'Allemagne. Johanna Adam en est une des curatrices.
"C'est une réalité vécue depuis longtemps, mais elle était contestée il y a quelques années encore. Dans une déclaration gouvernementale de 1982, à l'époque du gouvernement Kohl, il était encore dit que l'Allemagne n'était 'pas un pays d'immigration et que toutes les mesures légitimes d'un point de vue humanitaire devaient être prises pour empêcher la venue d'étrangers'. Cela ne remonte pas à si longtemps, c'est très dur et aussi terriblement éloigné de la réalité."
La place des migrants dans la société allemande
Si reconnaître la réalité est une chose, la rendre visible en est toutefois une autre, a encore souligné Johanna Adam à l'ouverture de l'exposition, le 26 mai 2023 :
"Les questions centrales que nous adressons à la société sont en premier lieu : qui sommes-nous, qui est visible, qui est audible ? Qui a le droit de participer aux décisions, qui a accès aux ressources, comment le pouvoir est-il réparti ? Nous le faisons par l'art."
Pour la directrice de la Bundeskunsthalle, Eva Kraus, cette exposition est une occasion pour son institution de s'ouvrir à de nouvelles perspectives, y compris en ce qui concerne la représentation des migrants dans l'art.
"Ce sont beaucoup de questions, mais aussi des questions pour notre institution : comment on peut s'ouvrir, donner une voix à tout le monde, engager des gens de background migratoire. Il y a une grande pluralité de voix, beaucoup d'artistes s'occupent de ce thème, c'est ça qu'on veut présenter."
Dans les salles de la Bundeskunsthalle, des œuvres artistiques, comme des cartes du monde renversant la perspective euro-centrée ou encore des portraits d'Afro-Allemands en tenue de dandy avec une bière à la main, côtoient des archives photographiques et audiovisuelles.
Il y a aussi des objets du quotidien qui apportent un éclairage historique et personnel sur la migration en Allemagne. Ces objets proviennent de la collection de DOMID, une association qui documente l'histoire des migrants d'Allemagne, et qui prépare l'ouverture d'un musée à Cologne. Robert Fuchs est le directeur exécutif de DOMID:
"C'est une chance inouïe pour nous. Nous allons ouvrir en 2027 la Maison de la société migratoire et avec cette coopération, nous avons la possibilité d'adresser au public notre message central : que les histoires des migrants et de leurs descendants doivent faire partie de l'histoire collective."
Intégrer les migrants dans la mémoire collective
Car la mémoire collective accorde peu de place aux migrants. Pour Johanna Adam, la contribution de DOMID à l'exposition permet d'intégrer dans la culture du souvenir ces citoyens, dont certains sont présents en Allemagne depuis plusieurs générations.
"En étendant cette perspective à celle des migrants, on peut apporter un autre point de vue sur des moments comme le miracle économique allemand, en racontant aussi ses côtés sombres. Un exemple : les ouvriers immigrés qui ont travaillé dans l'usine de Volkswagen ont été hébergés dans les mêmes baraques où on logeait les travailleurs forcés pendant la guerre. Le régime appliqué dans ces foyers était strict, il y avait des couvre-feux, on vivait à six ou plus dans espace très restreint. Il y avait peu de liberté, et aussi le racisme quotidien auquel les migrants étaient exposés."
Le racisme fait d'ailleurs l'objet d'un vaste chapitre dans l'exposition. Un racisme structurel, qui va des discriminations sur le marché du travail à celles de l'accès au logement, des délits de faciès ou des difficultés d'accès à la nationalité allemande.
Les violences xénophobes sont également thématisées. La date de l'ouverture de l'exposition, fin mai, n'a pas été choisie par hasard. Elle coïncide avec le trentième anniversaire de l'attentat raciste de Solingen.
Un climat xénophobe propice aux violences
Les témoignages des victimes de Solingen, mais aussi d'autres attentats racistes comme celui de Mölln en novembre 1992, rendent compte du climat qui régnait à l'époque.
A Mölln, le père de la famille Arslan a par exemple été dans un premier temps soupçonné d'avoir mis lui-même le feu à sa maison. Et la ville de Mölln n'a jamais transmis à la famille des lettres de solidarité envoyées après l'attentat.
"Nous sommes en mesure de présenter pour la première fois les lettres de Mölln, des lettres que la famille Arslan aurait dû recevoir si la ville les leur avait transmises. En effet un grand nombre de lettres - plus de 700 je crois - ont été envoyées qui manifestaient leur solidarité et et proposaient de l'aide. Très concrètement, les lettres n'ont jamais atteint la famille jusqu'à il y a quelques années."
Trente ans après Mölln et Solingen, les violences xénophobes sont encore d'actualité en Allemagne. Mais pour Robert Fuchs, de l'association DOMID, la société allemande évolue dans le bon sens:
"Il est important de voir qu'il y a aujourd'hui une résistance beaucoup plus grande, que les gens se solidarisent et ne tolèrent plus les choses comme ça. Notre société est maintenant beaucoup plus avancée parce que des gens de la deuxième, troisième, voire quatrième génération ont aujourd'hui une autre approche et d'autres moyens de se faire entendre."
L'exposition "Wer wir sind" offre non seulement une voix aux histoires des migrants, mais elle célèbre la diversité de la société allemande, qui comptait en 2022 près de 24 millions d'habitants d'origine étrangère.
La citation (d'Audre Lorde) présentée à la fin du parcours rappelle d'ailleurs que "ce ne sont pas les différences qui nous divisent mais notre capacité à les reconnaître et à les célébrer".
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Les Grecs s'attaquent au nettoyage des fonds marins
Pour la deuxième partie de Vu d'Allemagne, on sort du musée pour une escapade en Grèce où la saison touristique bat déjà son plein ! En Grèce les plages idylliques font rêver, les fonds marins aussi... seulement voilà, ils sont envahis par les déchets plastiques.
La conscience écologique des Grecs est balbutiante, mais le travail des ONG locales qui œuvrent pour la collecte et le recyclage du plastique commence à porter ses fruits.
Ecoutez le reportage au large des côtes de l'Attique par notre correspondant en Grèce, Thomas Jacobi.