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Ce que disent les exercices conjoints AES/Togo/Tchad

27 mai 2024

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, membres de l'AES, ont lancé des exercices militaires conjoints avec le Togo et le Tchad. Un pied de nez aux Occidentaux et un clin d'oeil à la Russie.

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Mali | soldats des FaMa à l'arrière d'un pick-up (photo de 2019)
Des soldats maliens participent aux exercices, aux côtés de soldats burkinabè, nigériens, tchadiens et togolaisImage : Souleymane Ag Anara/AFP

Les pays de l'Alliance des Etats du Sahel – le Mali, le Burkina Faso et le Niger – ont lancé un exercice militaire au centre de formation des forces spéciales de Tillia, dans l'ouest du Niger. Y participent également les armées du Togo et du Tchad.

Ces manœuvres sont qualifiées d'exercice "d'envergure” et leur objectif affiché est à la fois de travailler la tactique dans la lutte antiterroriste et de "renforcer les liens avec les populations locale", selon le ministère nigérien de la Défense. Mais pourquoi maintenant ? Et pourquoi le Togo et le Tchad s'y sont-ils associés ? 

Des nageurs de combat allemands lors d'une visite d'un inspecteur général de la marine allemande sur la base de Tillia, au Niger, en 2018
La base de formation des forces spéciales nigériennes à Tillia, où ont lieu les exercices, a été financée par l'AllemagneImage : Carsten Hoffmann/dpa/picture alliance

L'Alliance des Etats du Sahel

Ces exercices militaires conjoints entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont une nouvelle manifestation du rapprochement opéré par ces pays, au sein d'un pacte de coopération et de défense mutuelle : l'Alliance des Etats du Sahel. Parallèlement à cela, les trois Etats ont quitté la Cédéao, en début d'année.

L'AES se réfère à deux entités historiques pour appuyer sa légitimité politique : le regroupement de ces trois pays membres dans la même colonie du Haut-Sénégal-Niger au sein de l'Afrique occidentale française (jusqu'en 1920) et l'Autorité de développement intégré dans l'ancien sultanat du Liptako-Gourma, dans la région dite des Trois frontières.

Au-delà de leur proximité historique et culturelle, les trois pays ont en commun d'avoir désormais à leur tête des militaires qui ont pris le pouvoir par la force et qui basent leur politique intérieure sur la lutte contre le terrorisme djihadiste.

Le retrait du Niger, du Mali et du Burkina de la Cédéao et ses conséquences

Nina Wilen, directrice du programme Afrique de l'Institut Egmont pour les relations internationales, identifie par ailleurs des points communs entre les dirigeants de ces pays et ceux du Tchad et du Togo.

 "Au Tchad, ça a été un coup constitutionnel, même si on l'oublie souvent quand on parle du Sahel", rappelle Nina Wilen. "Ça a été quand même un leader militaire qui a pris le pouvoir et a cimenté son pouvoir avec des élections qui n'étaient pas régulières du tout. Au Burkina, on vient d'annoncer que la transition n'aura pas lieu [cette année comme prévu], ce seront encore cinq ans avec les militaires au pouvoir. Au Mali, les élections ont été suspendues et au Niger, on n'a même jamais parlé des élections. Quant au Togo, il y a eu aussi des changements constitutionnels dans le même sens.”

Des hommes sont assis autour d'une tablea lors d'une réunion des chefs de la diplomatie des Etats de l'AES, le 15 février 2024.
Les dirigeants du Mali, du Niger et du Burkina Faso coopèrent étroitement au sein de l'AESImage : Fanny Noaro-Kabré/AFP/Getty Images

Togo et Tchad

Le Togo, lui, tente de se poser en médiateur et d'asseoir sa position de puissance régionale en jouant de son emplacement stratégique, entre le Sahel et le Golfe de Guinée.

L'un de nos interlocuteurs compare d'ailleurs, hors micro, la démarche du gouvernement togolais actuel à la politique de la Côte d'Ivoire sous Houphouët-Boigny.

Lomé s'est en effet opposé à des sanctions trop virulentes envers les juntes militaires et maintient le dialogue.

Quant au Tchad, il veut ménager sa coopération avec la France qui est son alliée de longue date. D'ailleurs, l'armée française conserve une base militaire à N'Djamena. Mais Mahamat Idriss Deby ne veut pas fermer la porte aux pays sahéliens, alliés notamment de la Russie.

Burkina Faso | Un homme sur une moto brandit un drapeau russe dans une rue de Ouagadougou (photo de 2022)
La Russie est une alliée commune des pays impliqués dans les exercices militaires conjoints des cinq paysImage : Sophie Garcia/AP/picture alliance

L'annonce d'exercices militaires conjoints est un signal lancé aux alliés militaires historiques, desquels ils ont pris leurs distances, principalement les Etats-Unis et la France, estime Nina Wilen : "Actuellement a lieu l'exercice annuel Flintlock, un exercice de contre-terrorisme organisé, initié et financé par les Etats-Unis depuis plusieurs années maintenant. Et Mali, Niger et Burkina ne faisaient pas partie de ces exercices cette année. Cela pourrait être un signal à destination des Occidentaux pour leur dire : « voilà, on fait nos propres exercices militaires, on n'a pas besoin de vous »".

Nouveaux partenariats en vue

En plus d'entériner l'échec du G5 Sahel dirigé dans les faits par la Mauritanie et la France, ces exercices militaires créent donc un pont vers d'autres partenaires communs sur le plan militaire : l'Iran et la Turquie pour les livraisons de matériel et d'équipements sophistiqués comme les drones, et la Russie, bien sûr, avec qui les liens de ces cinq pays se resserrent pour les missiles antiaériens et le recours aux formateurs et aux mercenaires.  

Toutefois, certains Etats occidentaux, comme l'Italie, ont maintenu leur coopération militaire avec les pays de l'AES. L'Allemagne, elle, envisage de la rétablir avec le Niger.

NDLR : Plusieurs experts militaires que nous avons joints ont refusé de répondre officiellement à nos questions par crainte pour leur sécurité.