Dénoncer la corruption peut être dangereux
12 juillet 2023Des conventions régionales et internationales existent. Des textes ont été signés. Des lois adoptées ... et pourtant la corruption perdure avec la même intensité sur le continent africain. Parallèlement, la répression contre ceux qui luttent contre ce fléau - qu'ils soient journalistes, lanceurs d'alerte, militants de la société civile - s'est sensiblement accrue et leur rend la vie difficile, voire impossible quand ils ne sont pas tout simplement liquidés.
Cette semaine, Amnesty International a publié un rapport sur le thème "La lutte contre la corruption en péril", le premier du genre. Il couvre 19 pays de l'Afrique de l'ouest et du centre et s'intéresse à 31 cas de répression qui ont eu lieu dans ces Etats depuis 2018 - année que l'Union africaine avait justement baptisée "Année africaine de lutte contre la corruption". Année aussi, du 15ème anniveraire de la signature de la convention de l'UA sur la prévention et la lutte contre la corruption.
Interview avec Liliane Mouan, chercheuse sur la corruption et les droits humains pour l'Afrique de l'ouest et du centre auprès d'Amnesty International
DW : Amnesty international a publié un rapport qui s'intitule "La lutte contre la corruption en péril". Est-ce qu'il y a une accroche particulière qui a poussé Amnesty à rédiger ce rapport maintenant ?
Liliane Mouan : La corruption qu'on peut définir comme un abus de pouvoir utilisé à des fins personnelles est un fléau que tous les états membres de l'Union africaine se sont engagés à combattre, notamment en ratifiant les traités régionaux et internationaux.
Il était important pour nous d'essayer de faire comme une sorte d'évaluation pour voir justement si nos États ont progressé en termes de lutte contre la corruption et s'ils n'ont pas progressé, pourquoi et qu'est-ce qu'on peut en tirer comme conclusions ?
DW : Les autorités nationales usent de nombreux moyens pour entraver le travail de ces défenseurs et défenseuses des droits humains. Il ya, par exemple, vous le notez dans le rapport, les fausses accusations, les menaces ou les représailles professionnels. Par exemple, vous citez le cas de l'Alternative qui est un journal togolais ...
Liliane Mouan : Voilà comme vous l'avez suggérez effectivement, il y a des défenseurs anticorruption qui, malheureusement, font face à plusieurs types de répression. Et ceci était le cas du jouranliste d'investigation togolais, Ferdinand Ayité justement dont le journal a été accusé d'avoir publié de fausses informations sur le ministre de l'Urbanisme, de l'habitat et de la réforme foncière et a été suspendu pendant quatre mois par l'organe de régulation des médias
Ferdinand Ayité lui-même, il aurait été harcelé par les autorités fiscales et tout récemment, en mars 2023, il a été condamné à trois ans de prison et une amende de 3 millions de francs CFA pour outrage aux autorités et propagation de fausses nouvelles. Comme vous le savez, les deux journalistes ont fait appel, mais ils ont été contraints de fuir le pays pour raison de sécurité.
DW : Oui et vous citez de nombreux autres cas. Votre rapport aussi revient sur des agressions physiques à l'encontre de ces défenseurs. Parfois, elles sont même mortelles, ces agressions et à ce sujet vous citez plusieurs fois le Cameroun notamment. C'est un fait, dénoncer la corruption, est-ce que ça peut être à ce point dangereux qu'on peut le payer de sa vie ?
Liliane Mouan : En effet, nous mentionnons dans le rapport des cas d'agression physique et trois cas d'assassinats de journalistes, professionnels de la santé et activistes de la société. Parmi les journalistes, effectivement, nous mentionnons le cas de Martinez Zogo, dont le corps mutilé a été retrouvé le 22 janvier 2023 en périphérie de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Martinez Zogo enquêtait sur le détournement présumé de centaines de milliards de Francs CFA, impliquant des personnalités du monde des affaires et du monde politique proche du gouvernement.
Donc, il y a eu une enquête qui a été ouverte et près de vingt membres de la direction générale de la recherche extérieure donc l'agence de contre-espionnage du Cameron, ont été arrêtés, ainsi qu'un homme d'affaires.
Mais effectivement, l'une des raisons pour lesquelles on a décidé de se pencher sur ce cas et 30 autres cas mentionnés dans le rapport, c'est parce qu'il a été prouvé que quand on s'attaque à ces défenseurs des droits humains qui dénoncent les faits de corruption, on ne s'attaque pas qu'à eux, on ne s'attaque pas qu'à leurs proches. On s'attaque à la société, parce que ça entraîne une sorte d'autocensure qui fait en sorte qu'effectivement tout le monde a tendance à se taire. Donc, il est important, essentiel de les protéger, mais aussi de promouvoir leur travail.
DW : Que cherchent les autorités nationales en entravant à ce point le travail des défenseurs et alors même que de nombreux états ont ratifié des textes allant dans le sens de la lutte contre la corruption ?
Liliane Mouan : Le constat que nous avons fait, quand on regarde l'indice de perception de corruption de Transparency International au courant des cinq dernières années, quand on regarde l'espace civique qui se restreint, quand on regarde les restrictions des droits humains, y compris des défenseurs des droits humains, le constat que nous faisons, c'est que ce climat de répression et, je dois ajouter, d'absence de cadre juridique et institutionnel propice au travail de lutte contre la corruption, tout ce climat et cet environnement nous laisse à penser que les états ne sont effectivement pas sérieux quand ils disent lutter contre la corruption.
Donc, nous leur demandons de renforcer le cadre juridique institutionnel et aussi que, à la fois les responsables des actes de corruption et les responsables des attaques, u'ils soient tout simplement punis.
DW : Donc, l'accès à la justice et la lutte contre l'impunité ce serait, selon vous, les priorités ou les chantiers les plus urgents auxquels il faut s'attaquer ?
Liliane Mouan : ce sont les chantiers les plus urgents ainsi que la protection et la promotion des défenseurs des droits.
DW : Est-ce que vous avez noté quand même des évolutions positives dans certains pays ?
Oui. Je pourrais peut-être cité le cas de la Côte d'Ivoire : elle essaye de se doter d'une loi spécifique sur la protection des lanceuses et des lanceurs d'alerte et nous avons dix pays qui ont adopté des lois sur l'accès à l'information. Néanmoins, nous disons, nous demandons à ces États de s'assurer de l'application effective de ces lois.