Bénin : la Criet est-elle vraiment indépendante ?
6 avril 2021"Le juge que je suis, n'est pas indépendant. Toutes les décisions que nous avons été amenées à prendre, l'ont été sous pression, y compris celle qui a vu le placement de madame Reckya Madougou en détention", a déclaré au cours de sa toute première interview, Essowé Batamoussi, magistrat de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet).
Le magistrat a fui son pays pour trouver refuge avec toute sa famille, en France.
Ces déclarations ne surprennent pas maître Paul Kato Atita, membre du collectif des avocats qui défendent l’ancienne ministre Reckya Madougou, en détention préventive, depuis début mars.
"Ce que le juge a dit, c'est un secret de polichinelle et la preuve est maintenant devenue publique. C'est cela la particularité, c'est la seule différence. A Madame Madougou elle-même, je lui ai dit : je n’attends rien pour votre libération. Le jour où les autorités et les hommes politiques du Bénin vont décider de la faire sortir, elle sortira. Mais, s’ils ne le décident pas, elle ne sortira pas", soutient-il.
Pour sa part, le professeur de sciences politiques à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin, Hygin Kakai, ne croit pas que la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme, composée de magistrats de haut niveau, soit assujettie à l’exécutif.
Respect des juges
"Le juge n'est pas le procureur de la Criet. Il n'est pas non plus le président de la Criet. Je ne pense pas que ça soit une pression. Et le ministre de la justice a dit qu'il ne connait pas personnellement ce juge. Il y a certainement d'autres données que nous ne maitrisons pas. Mais dire que les professionnels du droit qui sont à la Criet sont assujettis au pouvoir politique, c'est leur manquer également de respect."
Opposant, premiers inculpés
Au lendemain de sa création en 2018, les premiers inculpés politiques de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme ont été pourtant des opposants.
C’est ainsi que l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, arrivé troisième à la présidentielle de 2016, a été condamné deux fois par cette cour : une première fois en 2018 à 20 ans de prison pour trafic de drogues. Début mars, il a aussi écopé de cinq ans de prison pour fausse attestation et escroquerie.
Précédents
En décembre 2013, Angelo Houssou, qui était le juge d'instruction au Tribunal de première instance de première classe de Cotonou, s'était exilé aux Etats-Unis pour avoir délivré des ordonnances de non-lieu dans les affaires de tentatives d'empoisonnement de l'ancien président, Thomas Boni Yayi, et de coup d'Etat, dans lesquelles l'homme d'affaire béninois de l'époque, Patrice Talon, l'actuel président, a été inculpé. Celui-ci est rentré au bercail en août 2015, après 18 mois d’exil.
La Cour africaine des droits de l’homme et des peuplesa pris plusieurs arrêts accusant l’Etat béninois d’avoir violé certaines dispositions et principes démocratiques contenues dans la Constitution de décembre 1990, de même que les droits fondamentaux de l’opposant Sébastien Ajavon.
En représailles, le Bénin a décidé de se retirer du protocole qui permet à un citoyen de saisir directement la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. La décision fait suite à ce que le gouvernement béninois qualifie de "dérapage et d'égarements" qui éloigneraient, selon lui, cette cour de ses véritables compétences et du rôle qu'elle doit jouer.