DW : Depuis bientôt deux mois, la capitale tchadienne est en état de siège. Des policiers lourdement armés devant les sièges des organisations de la société civile, partis d'opposition, dans les écoles et devant les organes de presse privés. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Béral Mbaikoubou : Nous sommes face à un pouvoir aux abois, un régime finissant qui est en train de s'écrouler et qui fait feu de tout bois. Je pense que c'est le galop d'essai du cheval maléfique pour le trucage des prochaines consultations électorales. Les uns et les autres, en face, entendent voler, usurper pour s'accorder encore de manière arbitraire l'onction populaire. Et donc, c'est un galop d'essai pour intimider la population. Même si je suis indigné, je ne suis absolument pas étonné. C'est une campagne d'intimidation qui a commencé avant l'heure.
DW : le dernier événement, c'est la prise en otage des locaux de la Radio Liberté par des policiers qui sont entrés de bureaux en bureaux jusqu'au studio, faire sortir des journalistes, les brutaliser, embarquer dans des pick-up. J'ai moi-même été en prison quelques heures avant d'être libéré... Du jamais vu dans l'histoire du Tchad !
B.M. : Franchement, je m'insurge et m'indigne contre ce comportement lâche, absolument lâche. Nous sommes face à un régime absolument lâche et cette lâcheté ne fait pas la fierté de notre pays. Des individus tristes qui se permettent de sortir des armes létales, des armes à feu contre leurs concitoyens qui n'ont que la parole pour exprimer leur désaccord ou leur accord.
Il y a quelque chose d'inadmissible dans ce comportement que nous devons dénoncer, que nous allons continuer de dénoncer, n'en déplaise à quiconque, parce que dans la situation qui est aujourd'hui la nôtre, la plus grande erreur du peuple serait d'avoir peur. Le régime fonde sa légitimité sur la peur.
DW : Un autre constat, et non des moindres, les véhicules qu'utilisent les éléments de la police ces derniers temps ne sont pas immatriculés. Ces policiers ne portent pas de numéros de matricule. N'y a-t-il pas une volonté manifeste de commettre des bavures, des exactions, sans laisser de traces ?
B.M. : Oui, puisque le régime actuel est l'héritier de la dictature qu'il prétend avoir décapitée. Ils ont été à l'école de la condamnation de Habré, qui est leur père idéologique, dont ils utilisent les méthodes en changeant simplement de nom. Alors, on essaie de faire en sorte que les comportements obséquieux du régime actuel soient effacés au plus petit détail. Mais aujourd'hui, il n'y a pas de possibilité d'effacer quoi que ce soit.
Ils pensent se cacher derrière un anonymat en effaçant les chiffres d'immatriculation, en rendant anonymes les agents de forces de l'ordre, etc. Mais nous sommes à une époque où les traces restent toujours, que l'on le veuille ou non. La preuve, c'est que la violente descente qui a été effectuée au sein de la radio FM Liberté a été illustrée par des éléments sonores. Ça veut dire qu'il y a des hommes et des femmes dans ce pays qui, même dans le plus grand péril, sous la plus grande menace, sous le plus grand danger, sont capables de poursuivre leur métier. Enregistrer des crépitements de balles, des explosions de grenades pendant que l'on est soi-même en danger, il faut dire que c'est un acte de courage pour lequel je voudrais féliciter tout le personnel de la Radio Liberté, une radio qui porte bien son nom.
Ce régime est lâche. Il est animé par des hommes et des femmes lâches, des hommes d'humiliation, des personnes lamentables et absolument exécrables devant lesquelles nous n'allons pas reculer. Qu'ils changent de méthode s'ils veulent nous faire taire. Mais leur méthode d'agitation d'armes ne fera plus recette. Il ne faut pas qu'ils s'y trompent, non ? Nous n'aurons plus peur, plus jamais.
DW : Quelle doit être, selon vous, l'attitude de l'opposition ou encore de la société civile face à de tels agissements ?
B.M. : Nous devons changer de logiciel politique et idéologique pour faire comprendre, au pouvoir en face, qu'il n'a pas le monopole de la violence. Il ne faut pas que des personnes barbares, sorties de l'obscurité la plus totale de l'histoire de l'humanité, croient qu'avec la force et la brutalité, on peut tout résoudre. Il est difficile pour les êtres humains de devenir intelligents, de devenir excellents, mais il n'est pas difficile d'être bête ou violent pour être bête. Il suffit simplement d'éteindre son intelligence.
Propos recueillis par Blaise Dariustone