Et si les Algériens s'inspiraient de la Tunisie
29 mars 2019Ce nouveau vendredi de contestation était très attendu en Algérie : c’était la première grande journée de mobilisation depuis l’appel de l’armée.
Une foule de manifestants est descendue dans la rue, à Alger, pour la sixième semaine consécutive. Leur objectif: faire entendre les aspirations des Algériens au changement.
L'appel du chef d'état-major de recourir à l'article 102 de la constitution pour lancer une procédure d'empêchement du président Bouteflika et ainsi initier une période de transition dirigée par le président de l'assemblée ou celui du conseil constitutionnel, cet appel est largement rejeté par les manifestants.
Parmi eux se trouvaient Saïd Salhi, le vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), et Jamel Msallem, le président de la Ligue tunisienne de protection des droits de l'Homme.
Ecoutez-les en cliquant sur la photo ci-dessus ou lisez la retranscription de l'entretien ci-dessous:
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Saïd Salhi : Le peuple algérien a répondu par le rejet de cet ordre qui est compris comme une manœuvre du système de se pérenniser et de se régénérer. Parce que ce système est rodé à la fraude, à l’usurpation de la volonté populaire. Aujourd’hui, nous disons que ce dispositif n’empêchera pas la volonté populaire de s’exprimer librement. C’est pour ça que nous, nous voulons un changement du système.
DW : Y a-t-il une feuille de route qui est mise en œuvre pour faire entendre des exigences, des propositions ?
Saïd Salhi : Oui. Je suis dans une dynamique de la société civile qui regroupe une trentaine d’organisations de la société civile. Nous avons déjà proposé de faire de la médiation, dans la société, mais aussi auprès des acteurs politiques. Ce que nous disons : il faut aller vers une période de transition qui permettra la naissance de la nouvelle république sur des bases nouvelles. Nous avons déjà entamé une série de concertations avec les partis politiques de l’opposition et tentons de dégager un consensus.
Le peuple algérien est en train de discuter, de prospecter toutes les voies qui vont lui permettre de changer le système tout en préservant l’Etat.
DW : On entend votre espoir, mais certains intellectuels, dont le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme, Noureddine Benissad, qui appellent à la vigilance de la population pour qu’il ne se laisse pas « spolier son droit à choisir elle-même » cet avenir qui est à inventer. Comment parle-t-on de ces risques de récupération, notamment par d’anciens membres du FIS (Front islamique du Salut, interdit depuis la guerre civile des années 1990) qu’on a vus dans des manifestations ou qui essaient de se profiler.
Saïd Salhi : Ce mouvement n’est pas apolitique ! Il est traversé par des opinions politiques, des sensibilités, par des organisations de la société politique et civile. Ce mouvement a réussi à construire ce consensus. Et la rue, aujourd’hui, est consciente. Les jeunes, surtout, refusent que ce mouvement soit récupéré, instrumentalisé mais les gens sont contraints de débattre.
On n’est pas loin, on a vu, on observe ce qui s’est passé dans les pays voisins. Aujourd’hui, nous sommes avec nos amis Tunisiens, il y a des modèles qui ont réussi, d’autres qui peinent à sortir. Mais les jeunes Algériens, surtout avec les réseaux sociaux, sont à l’écoute de toutes les autres expériences.
DW : Merci, M. Salhi.
Saïd Salhi : Je vous passe la Ligue tunisienne…
DW : Volontiers.
Jamel Msallem : Je suis Jamel Msallem, président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme. Nous sommes à Alger pour apporter notre soutien aux Algériens.
DW : Est-ce que ça vous rappelle ce que vous avez vu en 2011 en Tunisie ?
Jamel Msallem : Absolument ! Ça nous rappelle notre révolution aux premiers jours…
DW : Vous qui avez vécu la révolution en Tunisie, avez-vous des conseils aux Algériens ?
Jamel Msallem : On a fait des réunions avec les représentants du collectif de la société civile algérienne. On a beaucoup parlé, y compris du souci de l’avenir de cette action populaire énorme et pacifique en Algérie. On a apporté notre expérience de Tunisie : le désarroi du début, mais qui a été récupéré par la création de l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution. L’Algérie a besoin de ça. Pour l’instant, le mouvement n’a pas de leader, il n’y a pas de comité qui organise ou centralise [les revendications]. J’espère que l’Algérie va se doter d’une instance qui ressemble à celle créée en 2011 en Tunisie, qui a mis sur les rails le début de la transition démocratique en Tunisie.