En France et en Allemagne, deux conceptions de la police
29 juin 2023La mort de Nahel, un adolescent de 17 ans, près de Paris, a provoqué des émeutes dans plusieurs villes de France la nuit dernière. Le jeune homme a été tué à bout portant par un policier dans le cadre d'un contrôle routier auquel il tentait de se soustraire.
Cette violence policière a été filmée et la vidéo postée sur les réseaux sociaux, ce qui a provoqué des émeutes dans de nombreux quartiers populaires. En réponse, le président Macron appelle au calme et près de 40.000 agents ont été déployés aujourd'hui à travers le pays pour éviter de nouveaux heurts la nuit prochaine. La ville de Clamart, près de Paris, a imposé un couvre-feu. Le policier auteur du tir mortel a été mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire.
L'occasion de se demander si ce type de scène aurait pu se passer en Allemagne et, plus généralement, quelles sont les différences entre les polices des deux pays.
Difficile de répondre catégoriquement à cette question, car oui, il existe aussi des cas de violences policières en Allemagne.
En revanche, elles débouchent rarement sur des émeutes dans les banlieues.
A chaque pays sa "tradition policière"
Rainer Hudemann, professeur émérite des universités Sorbonne, à Paris, et de la Sarre, en Allemagne, l'explique par une différence fondamentale de la place des polices allemande et française dans les deux sociétés :
"En France, depuis le XIXe siècle, la police avait d'abord un rôle de maintien de l'ordre, ce qui perdure encore aujourd'hui et se reflète dans l'organisation de la police, explique Rainer Hudemann. En Allemagne, c'était, déjà depuis le XIXe siècle, un rôle plus important dans l'organisation de la société", explique-t-il à la DW.
Ce qui est attendu ou demandé à la police dépend bien sûr aussi de la forme de l'Etat. En Allemagne, par exemple, la dictature du IIIe Reich et celle en Allemagne de l'Est ont aussi marqué les pratiques et les esprits.
Le cercle vicieux de la violence
Pour Dieter Gosewinkel, historien et juriste à l'Université libre de Berlin (FU), la relation établie entre la police et la population est fondamentale pour limiter le degré de violence policière aussi. Pour résumer : plus une police est répressive, plus elle doit faire face à de l'animosité de la part des civils, ce qui l'incite à recourir à la violence.
"Si la police – ou la gendarmerie – est attaquée de manière très grave comme je le vois en France, elle se sent légitimée à utiliser des "armes de guerre", plus violentes, déclare Dieter Gosewinkel. "C'est un cercle vicieux, une relation réciproque. En Allemagne, parce que la provocation, le défi, à mon avis, est moins grand, la police peut utiliser des armes moins lourdes. Et c'est aussi à cause de ça que la police allemande est regardée avec moins de peur et moins de haine", précise-t-il.
Des problèmes sociaux à régler
Toutefois, Andrea Kretschmann, professeure de sociologie de l'Université Leuphana à Lüneburg et chercheuse associée au Centre Marc Bloch, rappelle aussi que l'endroit où l'adolescent est mort, la banlieue de Nanterre près de Paris, n'est pas anodin :
"Il faut bien voir que la police française est envoyée dans les banlieues comme une sorte de pompiers. Ce sont des endroits où les problèmes sociaux profonds ne sont pas du tout pris en compte alors qu'ils seraient en fait du ressort de la politique", estime Andrea Kretschmann.
Par ailleurs, la chercheuse insiste sur l'importance de la formation des forces de police pour éviter l'escalade de la violence. Or, en France, les policiers sont entraînés, dit-elle, à toujours s'attendre au pire, à ce que "n'importe quelle situation bénigne puisse devenir dangereuse".
Alors qu'en Allemagne, davantage de moyens sont déployés pour ne pas mettre autant les agents sous pression, les préparer à différentes situations et mettre à leur disposition une palette de moyens de ne pas laisser un conflit dégénérer.
"Le policier français qui a tiré a déclaré qu'il s'était senti menacé alors même que si on regarde de plus près, objectivement, l'adolescent ne représentait pas de menace, commente l'universitaire de Lüneburg. "Mais il est possible que l'agent ait eu ce sentiment parce que dans les formations, en France, on assène aux forces de l'ordre que n'importe quelle situation bénigne peut dégénérer et devenir dangereuse."
A lire : Kretschmann, A. (2021): Les villes artificielles comme espaces de formation de l’ordre politique: l’entrainement aux scénatrios apocalyptiques des polices européennes, in: Carnets de Geographes 15