Que s'est-il passé le 10 avril dans les isoloirs de France ? Est-ce la répétition d'un scénario déjà vu en 2017 ou un séisme politique ? Les éditorialistes allemands en perdent leur latin.
La répétition, c'est le duo Macron-Le Pen au deuxième tour de la présidentielle. Le séisme, c'est la débâcle des grands partis, de gauche comme de droite, qui ont longtemps dominé l'échiquier politique français.
"On s'attendait à ce que ce soit beaucoup plus serré entre Macron et Le Pen, donc j'ai eu un petit soupir de soulagement", confie Evelyne Gebhardt, une ancienne eurodéputée franco-allemande.
Elle est sortie du premier tour avec un sentiment mitigé et appréhende la suite. "Je pense qu'il va falloir beaucoup travailler, que M. Macron aura à faire beaucoup de choses pour rallier des personnalités derrière lui."
Rallier des personnalités, c'est déjà fait puisque dès le 10 avril au soir, la plupart des candidats de droite et de gauche - et même Jean-Luc Mélenchon - ont appelé à "faire barrage au Rassemblement national" au deuxième tour en votant Emmanuel Macron.
Mais il faut aussi convaincre les électeurs qui avaient accordé leur voix à ces partis. Et ça, c'est une autre paire de manches.
Différence de système politique
Le faible, très faible même score des partis républicain, écologiste et socialiste a surpris en Allemagne, où les sociaux-démocrates et les écologistes, après leur victoire aux législatives de septembre 2021, constituent le gouvernement fédéral grâce à une alliance avec les Libéraux.
Et a contrario, le score cumulé de Marine Le Pen et d'Eric Zemmour à plus de 30%fait froid dans le dos dans un pays où l'AfD - l'équivalent du Rassemblement national français - tourne autour de 11 ou 12 pourcent.
Pour Jean-Louis Georget, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle et directeur du Centre d’études et de recherches sur l’espace germanophone (CEREG), cela est dû au système politique français.
"Cette personnalisation de la vie politique autour de l'élection présidentielle favorise l'émergence d'une polarisation très forte", explique le politologue.
Selon lui, les partis traditionnels ne constituent - actuellement - plus d'alternative "dans un paysage politique complètement fragmenté". "L'opposition se cristallise autour de figures très identifiables : les grandes figures de l'extrême-droite constituent une alternative possible."
Voir aussi → Comparaison de l'extrême-droite en France et en Allemagne
L'incarnation du pouvoir en une seule personne, c'est inimaginable en Allemagne depuis la fin du régime nazi. La Constitution de 1949 n'a pas prévu l'élection du président au suffrage universel direct et n'accorde que peu de pouvoirs au chef de l'Etat. Quant au chancelier, il est élu par le parlement auquel il doit rendre des comptes.
Pas de "Macronmania" en Allemagne en 2022
Le président français, lui, a du pouvoir. Alors certes, la presse allemande est moins enthousiaste à propos d'Emmanuel Macron qu'il y a cinq ans, lorsqu'elle l'avait présenté en "sauveur" d'une France incapable de se réformer.
Mais la perspective de voir Marine Le Pen accéder à la magistrature suprême en France inquiète beaucoup en Allemagne.
"Cela remettrait en cause les fondements de la relation entre les deux pays", explique Paul Maurice, chercheur au Comité des Relations franco-allemandes (Cerfa). "Le Rassemblement national de Marine Le Pen a fait de l'Allemagne le symbole de la domination, d'une Allemagne qui est considérée souvent comme rigoriste sur le plan économique, qui nuirait à la souveraineté de la France à l'échelle européenne."
Il estime qu'à travers l'Allemagne, le RN remet en cause "le projet européen dans son intégralité, même si c'est plus caché qu'en 2017".
Le politologue souligne l'ambiguité du discours de Marine Le Pen sur les questions européennes, même si elle a officiellement abandonné le Frexit et la sortie de l'euro. "C'est aussi parce qu'elle dispose, au sein de l'Union européenne, d'alliés qui pourraient lui permettre de mener une politique nationaliste, contre l'Union européenne au sein de l'Union européenne."
Marine Le Pen, si elle était élue, pourrait par exemple s'appuyer sur Viktor Orban, réélu en Hongrie, ou même Matteo Salvini en Italie, s'il était amené à revenir aux affaires.
Marine Le Pen mettrait l'Europe en péril
"Même si elle ne veut plus de Frexit, elle dit très clairement elle veut le nationalisme, elle veut la France d'abord, elle veut aussi peu d'Europe que possible", prévient de son côté Evelyne Gebhardt qui elle aussi persuadée que malgré un discours plus modéré, le fond reste le même.
Après deux ans de pandémie et alors que la guerre en Ukraine menace la stabilité régionale, l'ancienne eurodéputée estime au contraire qu'il faut renforcer l'Europe, avec "des personnalités fortes qui s'engagent réellement pour la construction d'une Europe sociale et citoyenne". Le moteur franco-allemand est donc un modèle à préserver à tout prix.
"S'il y a une chose qui est importante dans l'Union européenne, c'est ce moteur franco-allemand, avec la Pologne en ajout, pour faire avancer les choses, d'une Europe citoyenne, d'une Europe sociale. Et ça, je ne pense pas qu'on l'aura avec avec madame Le Pen", résume Evelyne Gebhardt.
D'autant que même si elle a abandonné le Frexit, le programme de Marine Le Pen comporte des mesures contraires aux principes européens : restriction de la liberté de circulation des marchandises et des personnes, au nom de la lutte contre la fraude d'une part et l'immigration d'autre part, préférence nationale pour l'accès aux droits sociaux...
Autant de mesures qui risqueraient d'isoler la France au sein de l'Union européenne et sur le plan international.
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Rencontre avec les pionniers du jeu vidéo en RDA
Les jeux vidéos ne se sont jamais aussi bien portés qu'aujourd'hui. Avec la crise sanitaire et ses confinements, l’industrie du jeu vidéo a explosé : rien qu’en 2021, son chiffre d’affaires au niveau mondial s’élevait à 300 milliards d’euros... Soit plus que les recettes générées par le cinéma et la musique réunis !
Cette industrie ne date pas d'hier puisqu'elle a pris son envol dans les années 70 en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. Mais un pan méconnu de cette histoire s’est également déroulé derrière le Rideau de fer, notamment en RDA, l’ancienne Allemagne de l’Est.
Julien Mechaussie est allé pour nous à la rencontre des pionniers qui malgré la dictature et la surveillance généralisée, ont contribué, à leur manière, à la chute du Mur de Berlin…
Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast. Ont contribué à ce numéro : Sandrine Blanchard et Hugo Flotat-Talon pour les interviews sur l'extrême-droite, et Julien Méchaussie pour le reportage dans l'univers des jeux vidéos. Vous retrouvez tous les numérosdans la médiathèque, à écouter en ligne ou à télécharger en format MP3. Le podcastest également disponible sur certaines plateformes de podcasts.