Au Gabon, des membres de divers corps de sécurité (armée, garde républicaine et gendarmerie) ont annoncé cette nuit avoir annulé les élections de samedi dernier [26.8.23], dissous les institutions et reversé le régime d'Ali Bongo.
Tout surprenant qu'il soit, dans un pays où la famille Bongo était au pouvoir depuis 1967, ce coup d'Etat était prévisible. C'est du moins ce qu'estime notre invité de la semaine. Il s'agit du journaliste et écrivain gabonais Jocksy Ondo Louemba, joint ce matin-même.
Interiew avec l'auteur et journaliste Jocksy Ondo Louemba
DW : Jocksy Ondo Louemba, qu'est-ce qu’il se passe en ce moment au Gabon?
Le Gabon a voté pour élire le président de la République, les députés, le même jour [26.08.23], au suffrage universel direct, et les maires.
Ce scrutin était inique et absurde parce qu'on contraignait les électeurs à choisir sur le même ticket, donc du même bord, son président et son député, c'est-à-dire que si quelqu'un votait pour un député du PDG, le parti d'Ali Bongo, il était contraint de voter aussi Bongo [à la présidentielle] et vice versa.
Et s'il votait, par exemple, pour un indépendant qui n'avait pas de candidat à la députation, par exemple Albert Ondo Ossa, il ne pouvait pas élire de député. Déjà, l'élection en elle-même était tronquée. C'était une mascarade.
Ce que le régime n'avait pas prévu, le régime d'Ali Bongo, c'est que lors de cette élection, les Gabonais ont délaissé volontairement le vote du député, ils n’ont pas [massivement] voté pour leurs députés, mais ils ont voté massivement pour élire leur président, or leur choix s'est porté, d'après les informations dont nous disposons, sur Albert Ondo Ossa.
Les procès-verbaux sont sans appel et le dispositif qui était censé diviser les électeurs, contraindre les électeurs à ne pas voter comme ils le veulent, s'est retourné contre le régime.
Depuis que le Gabon existe, c'est la première fois qu'on donne des résultats à une heure pareille. Quand on arrive à des résultats qui sont donnés à trois heures du matin. Il faut quand même se poser quelques questions.
DW : Mais pourquoi maintenant ? Le PDG, ou en tout cas la famille Bongo, sont au pouvoir depuis 1967? Pourquoi [les renverser en] 2023?
Omar Bongo [le père et prédécesseur d’Ali Bongo], c'était quelqu'un qui redistribuait largement, une sorte de grand patron. Le Gabon tout entier était sa clientèle. C'était un homme qui était très clientéliste. Il achetait les opposants politiques.
Ali Bongo était différent : il était très cassant, il était contre le dialogue. Il pensait qu'il pouvait tout par la force et la police. Mais vous savez, Napoléon disait: « On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus ».
DW : Ceux qui ont lu le communiqué à la télévision, ce sont des membres des forces de défense et de sécurité de l'armée de la garde républicaine….
… et de la gendarmerie !
DW : … et de la gendarmerie, mais ce ne sont pas des opposants politiques.
L'armée gabonaise s'est longtemps tenue au devoir.
Le dernier coup d'état qui a eu lieu au Gabon date de 1964, il ne faut pas l'oublier. Et on était dans la même situation, c'est-à-dire qu'on était face à l'époque à Léon Mba, le président du Gabon, qui était aveuglé, qui voulait instaurer le parti unique. Et l'armée n'est rentrée en place que lorsque les voix politiques civiles ont été activement bâillonnées.
Aujourd'hui, la déclaration est lue dans la cour du palais présidentiel, de la Présidence la République. C'est une première.
DW : Pour vous, c'est aussi la preuve que le mécontentement était encore plus profond, puisqu'il allait jusqu'au plus profond, jusqu’à la proche garde du président.
Bien sûr, bien sûr, aujourd'hui, pour qu'un tel coup d'état puisse se passer, il a fallu une certaine cohésion. Il y a eu des réunions, il a fallu que la majorité de la troupe partage [le même point de vue], sinon ça n'aurait pas été possible, sinon ça aurait échoué comme la tentative de coup d'état du lieutenant Kelly Ondo [Onbiang] en janvier 2019.
De là à penser qu’il y ait eu une influence étrangère ? Je ne sais pas, peut- être, je n'en sais rien. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a eu un rejet tel, en tout cas chez une bonne frange de l'armée qui a refusé de suivre les ordres qui avaient été donnés de réprimer à la suite des élections, avec ces résultats donnés à trois heures du matin par le Centre gabonais des élections, qui ne correspondaient en rien au vote des Gabonais.
Je pense qu'il y a un soulagement, parce que tout le monde redoutait une répression, comme en 2016, comme en 2009. Vous savez, en 2009, la ville de Port-Gentil a été mise sous cloche quand Ali Bongo est arrivé au pouvoir, des massacres ont été perpétrés dans cette ville.
En 2016, pareil, vous vous souvenez des images: on a attaqué toute une nuit le quartier général de [l’opposant] Jean Ping et aujourd'hui, vue l'ampleur du rejet, il fallait un massacre certainement plus grand, une répression plus grande. Et je crois que c'est là où l'armée bascule parce qu'elle n'a pas suivi [les ordres]. A un moment donné, les escadrons de la mort ne suffisent pas, quand un régime est rejeté à ce niveau-là, il faut appeler l'armée régulière. Or l'armée n'avait pas envie de se livrer à une répression telle que celle-là, d'autant plus que quand l'armée réprime, en cas de problème, ce sont les militaires qu'on aurait jeté en pâture. Ali Bongo aurait pu se cacher derrière eux en disant : « Je n'ai jamais demandé ça ».
Je pense qu[e les militaires] n'ont pas voulu se livrer la répression qui était annoncée.