"Baisser les bras, ce serait donner raison à la junte"
13 février 2024Aujourd'hui, 13 février, c'est la journée internationale de la radio. La capacité à envoyer des signaux par voie hertzienne via des ondes électromagnétiques a déjà près de 160 ans, mais la radio demeure le média numéro 1 en Afrique. C'est justement cette importance au sein des populations qui vaut à la radio d'être considérée par certains régimes autoritaires comme un média subversif, car difficile à contrôler.
En Guinée, par exemple, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Volker Türk, a dénoncé ces derniers mois la restriction de la liberté d'expression, ainsi qu'une "répression accrue". Reporters sans frontières s'alarme de la "censure" de nombreux médias privés.
De nombreux journalistes ont été arrêtés, intimidés, harcelés ces derniers mois. A la mi-janvier, plusieurs journalistes, dont le secrétaire général du Syndicat du personnel de la presse en Guinée (SPPG), Sekou Jamal Pendessa, ont été interpellés.
Nous avons pu joindre un autre responsable local du syndicat SPPG, à Labé : Mamadou Oury Barry. Il est aussi le directeur général de la radio Espérance FM et témoigne des chicaneries et autres formes de harcèlement dont sont victimes de nombreux journalistes en Guinée, de la part des autorités militaires.
Ecoutez ci-contre l'intervention de Mamadou Oury Barry
"Nous avons senti vraiment des changements. Il faut dire la vérité : au début, lors de l'avènement du CNRD au pouvoir, le CNRD nous avait vendu des illusions parce qu'il nous avait dit carrément que la justice allait être la boussole. Au-delà de tout ça, ils avaient assuré que la liberté d'expression serait de mise.
Mais ces derniers temps, nous constatons un changement négatif parce que les autorités, au plus haut niveau, utilisent à la fois le ministère de l'Information et le ministère des Postes et des Télécommunications, qui gère la RPT, l'autorité de régulation des Postes et télécommunications en République de Guinée, mais également la HAC, la Haute autorité de la communication, pour museler la presse, pour faire taire les hommes de médias.
Aujourd'hui, beaucoup de médias sont sanctionnés : certains sont retirés des bouquets Canal plus et même StarTimes et Télé Sud et tout ce qui s'ensuit.
Il y a aussi des journalistes qui sont sanctionnés, des sites d'information fermés à part entière, pour six voire même neuf mois.
Pour ce qui est des radios, très souvent, nous nous rencontrons des difficultés, parce qu'à chaque fois que nous débattons de choses concernant le pouvoir, que nous décortiquons ou nous dénonçons les tares du gouvernement, nous recevons des appels de ces différentes institutions, nous demandant de faire très attention ou nous demandant de ne pas aborder certaines sujets.
Malgré tout, nous avons choisi ce métier et nous sommes obligés de le faire en respectant l'éthique et la déontologie.
DW: Avez-vous dû changer vos méthodes de travail ou vos émissions?
C'est vrai que des difficultés sont là, mais nous parvenons tout de même à dénoncer, à faire notre travail convenablement, sans-souci et jusqu'à maintenant.
Pour ce qui est de mon média, on n'a pas reçu d'avertissements ni de menace de façon directe, mais il faut reconnaître qu'à travers les instances à l'intérieur du pays, très souvent, on est interpellé, et surtout nous, responsables, hommes de média, on nous dit très souvent qu'il faut faire très par attention : « Dites à vos animateurs, dites à vos journalistes de faire ceci ou de faire cela ».
Une autre difficulté, c'est par cette destruction de l'internet. Sans internet, nous ne parvenons pas à faire convenablement notre travail. Ça nous fatigue énormément. Le ministre des Télécommunications a affirmé qu'en République de Guinée, au XXIe siècle, internet n'est pas un droit. Cela pose problème.
Pour ce qui est de notre camarade syndicaliste Sekou Jamal Pendessa (secrétaire général du syndicat de presse SPPG, en prison), aujourd'hui, il est victime de son courage, il est victime de son honnêteté, il est victime de sa gentillesse.
Le pouvoir pense que le prendre et le mettre en prison, ça va empêcher les autres à faire le travail. Mais ce n'est que c'est vrai : il est incarcéré aujourd'hui, mais les autres sont là.
Nous autres, nous sommes là. On ne va pas baisser les bras, parce que vouloir baisser les bras, ce serait leur donner raison.
Ensemble, nous sommes unis. Dernièrement, les treize structures syndicales ont déposé un préavis de grève et le gouvernement a promis de revoir la situation, et tout dernièrement ils ont demandé à ce qu'il y ait un dialogue, une rencontre. Mais les syndicalistes tiennent mordicus qu'avant toute négociation, il faut libérer Pendessa, parce qu'il a été arrêté de façon illégale."