"J'ai eu de la chance de ne pas mourir" (Paul Chouta)
13 septembre 2023En République démocratique du Congo, le journaliste Stanis Bujakera est toujours derrière les barreaux. Il est accusé de "propagation de faux bruits et diffusion de fausses informations" pour un article publié par Jeune Afrique mettant en cause les renseignements militaires dans l'assassinat de l'ancien ministre Chérubin Okende.
Paul Chouta, lui, est journaliste d’investigation camerounais. Celui-ci a aussi été inquiété par la justice de son pays pour une affaire de diffamation qui lui a coûté deux années de prison.
Paul Chouta était par ailleurs un proche du journaliste d'investigation Martinez Zogo, Camerounais lui aussi, brutalement assassiné en janvier dernier. Dans notre interview de la semaine, Paul Chouta raconte comment sa vie a aussi été menacée alors que, comme Martinez Zogo, il enquêtait sur une affaire de détournements mais aussi sur des abus de droits humains au Cameroun.
Au micro de Dirke Köpp, il raconte à quel point la vie d'un journaliste d'investigation au Cameroun est dangereuse.
DW : Monsieur Paul Chouta Bonjour, Vous êtes journaliste d'investigation camerounais et vous êtes passé à deux doigts de la mort lors d'un enlèvement par des inconnus. Qu'est ce qui vous rend si dangereux au point que certains ont cherché à vous assassiner?
Malheureusement, le Cameroun, à cause de la malgouvernance, à cause des dirigeants qui sont aux affaires, c’est que nous sommes dans un pays où la corruption est la chose la mieux partagée par les personnes, les pontes du régime. C'est à dire on va s'illustrer, je vais vous citer des cas, des sujets sur lesquels j’ai travaillé, notamment le CAN-Gate.
Vous savez que le Cameroun devait abriter la Coupe d'Afrique des nations de 2019 qui malheureusement n'a pas eu lieu parce que les chantiers qui devaient abriter cette compétition n'étaient pas à jour. Tout simplement parce qu'il y a eu des surfacturations, des détournements des deniers publics.
A côté de ça aussi, vous savez que j'ai aussi dénoncé les cas d'abus, notamment le jeune Ibrahim Bello, ce jeune mineur, en ce temps, qui avait été victime d'un traitement inhumain et dégradant dans les locaux du poste de police d’Ombessa, à quelques kilomètres de Yaoundé, non loin de Bafia, dans la région du centre. Et il a subi ces traitements où il a été électrisé, torturé par des éléments de la police dans les locaux de la police. En ce temps, j'ai eu à sonner l'alerte sur ces cas. Malheureusement, il est décédé.
Il y a également des cas de viol, plusieurs sujets de cette nature que j'ai eu à traiter des hommes, des femmes torturées, séquestrées dans les hôpitaux, notamment l'hôpital central de Yaoundé et ailleurs. Ce sont quelques faits sur lesquels j'ai communiqué.
Alors vous comprenez que lorsque l'on est dans un environnement où la corruption est ambiante, dans un environnement où la torture, les abus des droits humains, la torture, l'arrestation des journalistes sont monnaie courante et que vous décidez de parler, vous vous démarquez et devenez une cible à abattre… parce que c'est un gouvernement qui s'illustre par le règne de la terreur.
Et du coup, j'ai pris sur moi tout le courage qui allait avec pour dire non, pour décider de rompre le silence, dénoncer.
Moi je pense que c'est parce que j'avais décidé d'exposer l'État, de dire plus haut, c'est que les Camerounais ressentaient plus bas, que j'étais devenu une cible à abattre absolument.
Est ce qu'on peut donc dire que vous avez eu de la chance parce que vous n'avez pas fini comme Martinez Zogo par exemple, qui a été brutalement abattu [en janvier 2023]? Mais vous avez eu, entre guillemets, bien sûr, la chance d'avoir "seulement" été en prison, d'avoir été torturé, mais d'être parti avec votre vie.
Il faut dire que, un an avant, j'ai subi les mêmes traitements que Martinez Zogo. C'est juste que j'ai eu de la chance de ne pas passer de vie à trépas. Je me dis que c'est les mêmes personnes qui ont décidé de m'assassiner, qui étaient convaincus d'ailleurs, qui m'ont assassiné, qui ont infligé le même traitement à Martinez Zogo.
Je me dis également que peut-être c'est parce qu'ayant constaté qu'ils ont fait une erreur sur mon cas… parce qu'en partant, ils étaient convaincus que je devais rendre l'âme, puisque lorsqu'on vous frappe au niveau du rachis cervical, au niveau de la nuque, avec des pierres, des coups, avec tout un tas de matériel qu'on peut imaginer, c'est pour atteindre le rachis cervical… parce que lorsque le rachis cervical est atteint, automatiquement ça cause ce qu'on appelle une hémorragie interne.
Et je crois que c'est de cette même hémorragie interne qu’est décédé Martinez Zogo.
Et où est le lien entre vous et Martinez Zogo?
Je vous ai parlé de la ligne [budgétaire] 94, 65 et 57. Lorsqu'il a eu ce fameux document d’environ 300 pages, il m'a contacté pour qu'on en discute puisqu'il estime que j'étais une voix qui portait et que j'ai cette audience sur la toile puisque lui, il était animateur radio, donc il travaillait plus pour la radio.
Nous nous sommes rencontrés le 28 décembre 2022 et lorsque Martinez me remet donc ce document, que je le parcours, je prends copie, je lui fais savoir que lorsque je scrute le document, les faits qui y sont dévoilés sont extrêmement graves. Il faudrait, avant de s’y engager prendre des dispositions sécuritaires parce que c'est un scandale, du jamais vu. C'est un scandale que le Cameroun n'a jamais connu !
Il dit ok, il a compris, mais il a fait plusieurs émissions s'inspirant de ce document-là. Moi également, j'ai communiqué quand même sur quelques pages…
Une semaine avant l'enlèvement, l'assassinat de Martinez Zogo, il m'a passé un coup de fil pour me dire que je devrais faire attention parce que Amougou Belinga [un homme d’affaire camerounais] a décidé de l'assassiner, de m'assassiner, d'assassiner Haman Mana qui est aujourd'hui aux Etats-Unis et d’autres journalistes à qui il avait remis ces documents-là.
Cela veut dire que sécurité était en danger ! Et une semaine après, on apprend que Martinez Zogo a été enlevé, mutilé, déshumanisé et finalement assassiné.