La Chine espionne aussi les touristes
4 juillet 2019Ces dernières années, la Chine a massivement développé la surveillance de ses citoyens, la cible principale étant la minorité musulmane des Ouïghours, qui vit dans le nord-ouest du pays. Ce qu'on ignorait, c'est que cette surveillance s'étend aux voyageurs qui se rendent dans la région, y compris de simples touristes.
C'est ce qui est arrivé à un jeune Allemand à l'été 2018. Parti du Kirghistan pour rejoindre le Pakistan, il s'apprête à entrer en Chine par la région du Xinjiang. À la frontière, on ne se contente pas de fouiller ses bagages : il doit remettre aux douaniers tous ses appareils électroniques, dont son téléphone et sa tablette.
"On a pu un peu regarder par dessus leur épaule et on les a vus modifier les réglages VPN et installer une application sur les téléphones. Ensuite on a vu sur l'écran comment tous les messages ont été scannés, et aussi les contacts, l'historique de navigation, etc."
Une "abeille butineuse"
Des journalistes des médias allemands NDR et Süddeutsche Zeitung, du Guardian, du New York Times et de Vice ont eu accès à l'application.
Ils ont pu analyser le logiciel espion, dont le nom chinois signifie "abeille butineuse" avec des experts de l'université de Bochum, dans l'ouest de l'Allemagne.
"L'application effectue d'abord une recherche locale sur le téléphone, mais toutes les informations recueillies sont transmises au garde-frontière", explique Thorsten Holz, un des experts de l'université.
"Les données transmises sont les contacts, les derniers SMS, les comptes de réseaux sociaux... Tous les fichiers suspects trouvés sont copiés et le garde-frontière y a accès."
La nature des fichiers suspects semble parfaitement définie. Une analyse du logiciel montre que l'application compare tous les fichiers avec une liste sur laquelle figurent 73.000 sommes de contrôle, une sorte d'empreinte numérique des fichiers.
Propagande islamiste et rock japonais
Les experts de l'université de Bochum ont réussi à en identifier plusieurs centaines.
"C'est très diversifié", remarque Thorsten Holz. "Il y a d'un côté la propagande de l'Etat islamique, des contenus islamistes, mais on a aussi trouvé des documents du Dalaï-Lama et de nombreuses vidéos, par exemple des vidéos d'un groupe japonais de rock..."
"Nous ne savons pas si les données sont effacées mais il est probable qu'elles soient conservées sur le long terme", ajoute-t-il.
Les touristes qui se rendent en Chine sont prévenus. Les données contenues dans leur téléphone seront probablement copiées et stockées.
Ce type de surveillance n'a rien d'inhabituel, souligne d'ailleurs Christine Kupfer, de l'Institut Mercator pour les études chinoises. Mais le gouvernement utilise des techniques de plus en plus performantes.
"Il faut regarder ce qui se passe au Xinjiang dans le contexte de la Chine qui affirme recourir à la haute technologie pour un meilleur contrôle de sa population, une meilleure éducation, un meilleur respect des lois. Mais au final, il s'agit quand même d'une surveillance accrue et d'atteinte à la vie privée."
Le gouvernement chinois n'a pas répondu aux demandes des médias sur son application espionne.
Un reportage de Philipp Eckstein pour l'ARD