La police de Saxe en pleine controverse sur Pegida
23 août 2018L'altercation s'est dérouléée à Dresde, dans le Land de Saxe dans l'est de l'Allemagne, la semaine dernière. Une équipe de la télévision publique allemande ZDF a été vivement interpellée par un manifestant du mouvement islamophobe Pegida qui protestait contre une visite de la chancelière Angela Merkel.
Le manifestant rudoie verbalement les journalistes et réclame qu'ils arrêtent de filmer. Sur ce, la police intervient et retient… les journalistes ! Pendant trois quarts d'heure, les empêchant ainsi de travailler.
Ce qui ne pourrait être qu'une anecdote a relancé le débat en Allemagne sur la proximité supposée de la police régionale de Saxe avec l'extrême-droite, d'autant que le manifestant en question se trouvait être un employé du LKA, la police criminelle régionale (voir communiqué ci-dessous).
Un problème de statut
La presse allemande est vent debout et crie à la violation de la liberté de la presse, elle reproche aux fonctionnaires de police d'être intervenus en faveur du manifestant Pegida plutôt que des journalistes.
L'affaire a pris de l'ampleur au point que la présidente de la branche saxonne du syndicat de police DPolG s'est sentie obligée de déclarer à l'agence de presse allemande : "Mon message est clair : les policiers saxons ne sont pas des extrémistes de droite". A quelques exceptions près, admet-elle, ajoutant que les employés des services de police sont libres de faire ce qu'ils veulent dans leur temps libre.
Oui et non, explique Carsten Koschmieder, chercheur en sciences politiques à l'Université Libre de Berlin (FU) ; Pegida n'est pas un mouvement citoyen comme un autre car "les slogans de Pegida et ses discours montrent que son objectif est d'abolir l'ordre constitutionnel démocratique. Or un fonctionnaire, en Allemagne, a un statut qui l'oblige à montrer une certaine loyauté vis-à-vis de l'Etat, y compris dans son temps libre", explique le chercheur de la FU. C'est pourquoi l'Allemagne "discute en ce moment pour savoir si la participation même à ce genre de manifestation n'est pas déjà une entorse à ce devoir de loyauté."
Une série d'incidents similaires ont déjà eu lieu
L'accrochage de Dresde s'inscrit dans une série d'autres incidents qui impliquent la police du Land de Saxe et l'extrême-droite. Carsten Koschmieder cite l'exemple d'une photo montrant une revue d'extrême-droite posée dans une voiture de la police saxonne. Ou d'un haut-parleur de la police mis à la disposition d'un militant Pegida pour faire entendre ses slogans. ))
La commission des affaires intérieures du Parlement régional de Saxe réclame une enquête sur l'incident de Dresde. L'opposition sociale-démocrate (SPD) fait part de sa préoccupation. Rico Gebhardt, du parti die Linke en Saxe, accuse les dirigeants de la région d'être co-responsables de l'incident. Pour Rico Gebhardt, "c'est une vraie catastrophe pour l'Etat régional libre de Saxe. Mais ça montre une fois de plus comment le ministre-président de la région, mais aussi le chef du groupe parlementaire de la CDU régionale, traitent certains sujets. Leur conception de l'Etat de droit est hautement problématique."
En attendant, sur Twitter, le hashtag #Pegizei, mélange de "Pegida" et "Polizei" (police) fait florès.
Particularités saxonnes
Pour le politologue Carsten Koschmieder, il est difficile d'analyser précisément pourquoi la Saxe est particulièrement sujette à ces soupçons de rapprochements entre forces de police et extrême-droite, mais il rappelle qu'effectivement ce Land est dirigé quasi sans partage par l'aile droitière des chrétiens-démocrates (CDU) depuis la réunification de 1990.
"Quand un parti dirige si longtemps une région, cela déteint sur l'administration, sur les ministères. Les personnes à la tête du Land n'ont aucune conscience du problème que pose l'extrême-droite. Au début des années 2000, un dirigeant saxon avait déclaré "Il n'y a pas d'extrême-droite en Saxe, nous sommes génétiquement immunisés contre ça." Quelque temps après, le parti néonazi NPD faisait son entrée au Parlement régional."
La Saxe est un Land issu de l'Allemagne de l'Est, où les habitants ont l'impression de subir de plein fouet les effets néfastes de la réunification. Ce qui n'explique pas tout, comme l'indique Carsten Koschmieder qui souligne que dans une autre région comparable d'ex-RDA comme le Brandebourg, ces problèmes ne se posent pas avec la même acuité.