La Russie en Afrique : appui militaire contre des minerais
24 mai 2019C'est un décret signé mi-avril par le président russe Vladimir Poutine qui a annoncé que Moscou enverrait une trentaine de militaires en République centrafricaine au sein de la Minusca, la mission de stabilisation des Nations unies dans le pays. Ce contingent est constitué d'observateurs militaires, d'officiers et de spécialistes de communications militaires.
En décembre 2017, la Russie a conclu un accord de coopération avec la Centrafrique.
Durant la même période et après de longues négociations avec le Conseil de sécurité de l'ONU, Moscou avait été autorisé à donner un premier stock d'armement à la RCA en vertu d'une exemption à l'embargo sur les armes décrété à l'égard de ce pays. D'autres livraisons ont suivi.
Le grand retour
En Afrique, certains pays avaient bénéficié jusque dans les années 80 de l'appui soviétique en échange de l'adhésion à l'idéologie marxiste léniniste. Aujourd'hui, Moscou profite d'un contexte de libéralisme pour se réimplanter.
Selon Mwayila Tshiyembe, directeur de l'institut panafricain de géopolitique de Nancy, "Moscou peut jouer sur les deux terrains, c'est-à-dire apporter un soutien militaire comme en Centrafrique et dans les pays du Sahel face au terrorisme, et de même, là où il y a des minerais - Centrafrique et RDC notamment - pourquoi la Russie ne se battrait-elle pas pour les minerais, étant entendu que ces pays ont besoin de renforcer leur capacité de défense et de sécurité qui fait défaut depuis de nombreuses années déjà ? Moscou peut être une porte de sortie."
Empêtrée dans un conflit politico-sécuritaire, la Centrafrique possède des réserves d'or et de diamant. La présidence centrafricaine explique qu'au-delà de son appui militaire, "la Russie s'est également engagée à participer au relèvement économique" du pays.
Mais l'assassinat en juillet 2018 de trois journalistes russes près de la ville de Sibut dévoile un peu plus le dessous des cartes. Ces journalistes enquêtaient sur la présence supposée de mercenaires du groupe Wagner, en charge de la protection de mines de diamant exploitées par la Russie.
La Russie exploite déjà cette ressource ailleurs comme en Angola, au Zimbabwe et au Botswana.
Profiter d'un vide
Pour revenir à l'aspect sécuritaire, la Centrafrique est un des six pays africains avec lesquels la Russie a conclu un contrat de coopération militaire ces deux dernières années. Ce partenariat couvre aussi la RDC, la Guinée et le Burkina Faso. Des pays qui relèvent du pré carré français.
A ce sujet, le Professeur Mwayila Tshiyembe est formel. "Etant donné la frilosité, le retrait indiqué ou réclamé de Trump avec l'Amérique d'abord, la France qui est en standby mais n'a plus les moyens en terme de capacité de projection militaire, sauf dans le Sahel où elle porte à bras-le-corps le Mali, qui donc peut prétendre à l'hégémonie ? La Chine, économiquement parlant oui. Mais militairement il y a un champ libre qui peut profiter naturellement à la Russie et la politique de Poutine va probablement dans ce sens là", explique l'expert.
C'est dans ce même ordre d'idées que s'inscrit la visite de quatre jours à Moscou du président congolais Denis Sassou Nguesso. En octobre prochain se tiendra le premier forum économique Russie/Afrique.
Pour Mwayila Tshiyembe, le président russe Vladimir Poutine attire la sympathie de régimes forts ou en quête de l'être.
Outre les quelques pays subsahariens où elle est installée, la Russie marque sa présence dans le Nord de l'Afrique à travers la Libye et l'Algérie.
L'Algérie, cliente de premier plan
La moitié des armes russes exportées vers l'Afrique est destinée à l'Algérie, confirme même une source diplomatique russe à Alger. Au Ghana, en Libye comme en Algérie, le géant russe Gazprom opère dans l'exploitation gazière.
Dans des pays comme l'Egypte, le Soudan, le Nigeria, le Kenya ou encore la Zambie, la Russie est aussi présente dans l'industrie nucléaire civile à travers la société Rosatom.
La Russie a donc des intérêts qui justifient sans doute son engagement militaire. La maîtrise de la lutte anti-terroriste en Afrique constitue l'un de ces enjeux, selon Yuri Rubinski, membre de l'académie des sciences de Moscou. Mais il y en a d'autres, explique cet ancien diplomate. "L'Afrique d'abord ne l'oublions pas a un paquet de voix important aux Nations unies. Et par conséquent, pour la Russie ce n'est pas rien d'avoir une coopération politique avec les pays africains. D'autre part, les Russes ne négligent pas, bien sûr, le côté économique. Je crois que l'Afrique est devenue un centre d'intérêts légitime des uns et des autres, qui peuvent effectivement être concurrents, mais c'est normal", insiste Yuri Rubinski.
Plusieurs observateurs soupçonnent le président Vladimir Poutine de vouloir redonner à la Russie son influence de l'époque soviétique.
Dans cette logique, l'Afrique constitue un appui de taille pour Moscou, sous sanctions occidentales et engagé dans une lutte d'influence avec Washington.