La cheffe de la Monusco, Leila Zerrougui, reconnaît qu’il y a encore d’énormes défis à relever, notamment la professionnalisation de l’armée et le contrôle des frontières. Au quotidien, la Monusco mène des actions avec ses partenaires militaires congolais pour maintenir la paix dans le pays.
A la fin du mois, l'ONU doit discuter du renouvellement du mandat de cette mission de 16.000 casques bleus dont le budget annuel dépasse le milliard de dollars. Récemment, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a demandé une réduction d'environ 2.000 personnes dans l'effectif de la mission présente en RDC depuis 20 ans.
DW : Madame Leila Zerrougui, vous êtes la représentante du secrétaire général des Nations Unies pour la RDC, donc la cheffe de la Monusco (Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo). Cette année, ça fera 20 ans que la Monusco est en RDC. Qu’est-ce qui a réellement changé en ces 20 ans? Pas en terme de démocratie, cette fois-ci, mais plutôt, en terme de sécurité, surtout pour les populations à l’est de la RDC.
Leila Zerrougui : Énormément de choses. D’abord, on est aujourd’hui dans un pays qui, malgré toutes les difficultés, a encore des groupes armés dans au moins six provinces sur les 26. Mais personne n’occupe des territoires que les FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) ne peuvent pénétrer. Il y a des défis énormes par rapport à la professionnalisation de l’armée, par rapport à la professionnalisation de la police, les fonctions régaliennes de l’État, le contrôle des frontières. Mais, il y a des progrès. C’est aussi grâce à tout le travail et des efforts de la communauté internationale. Je pense qu’on va faire cette évaluation avec les autorités cette année pour voir qu’est ce qu’on a déjà réalisé et comment on va avancer ensemble.
DW : Mais si vous dites aux populations de Béni par exemple que la situation s’est beaucoup améliorée, ils vont rire... ou plutôt: pleurer probablement car les attaques de la milice ADF (Alliance of Democratic Forces) sont toujours là et reviennent régulièrement. Qu’est-ce qu’elles vous disent ? Comment est-ce qu’elles réagissent ?
Leila Zerrougui : La région de Béni, c’est la zone où on a déployés pratiquement plus de 70% de nos troupes. On la FIB (Force d’intervention rapide), on a la force spéciale. On a beaucoup de gens là-bas, parce que justement, c’est une zone qui a besoin de notre protection. Il y a progression, je parle d’un territoire de 2,5 millions de kilomètres carré.
DW : Vous parlez de la FIB, la force d’intervention rapide qui a été créée en 2013 et qui a eu un succès spectaculaire en 2013 avec la victoire sur la milice M23. Depuis lors, on n’entend plus beaucoup parler de la FIB...
Leila Zerrougui : Et pourtant... et pourtant, on a eu le plus grand nombre de soldats tués dans cette zone de Béni en 2017. Moi, quand, j’ai été rencontré leur famille en Tanzanie, au Malawi, c’était dur pour moi. Les soldats de la paix qui sont forcés à faire la guerre, alors qu’ils sont censés ramener la paix. C’est beaucoup plus compliqué qu’on ne le pense...
DW : Madame Zerrougui, vous avez parlé des progrès réalisés par le pays, vous avez quand même cité aussi des territoires où il se passe de la violence. Il y a eu le Kasaï, il y a eu le Tanganyika, l’Ituri. Est-ce que ce sont des conditions qui ne sont pas favorables à un départ de la Monusco ?
Leila Zerrougui : Nous avons beaucoup de groupes armés qui se rendent. Le défis aujourd’hui, c’est: est-ce qu’on aura les moyens de les absorber? de les prendre en charge ? Nous avons ce phénomène aussi dans l’Ituri avec le FRPI (Forces de Résistance Patriotique de l'Ituri), nous avons ce phénomène aussi dans le Tanganyika. Il y a de l’espoir. Mais, ça ne va pas se faire comme ça en deux mois.
DW : Donc, la mission ne partira pas tout de suite ? Avec tout ce qu’il y a à faire, la formation de l’armée congolaise dont vous avez parlé. La mission en a encore un peu plus longtemps?
Leila Zerrougui : Le président de la République [Félix Tshisékédi, ndlr] a dit : donnez-moi un peu de temps pour pouvoir identifier les priorités et commencer le drop-down et le départ de la Monusco. Personne, ni l’ancien président [Joseph Kabila], ni l’actuel ne demande à ce que la Monusco reste éternellement. Et je ne crois pas que ceux qui décident de notre mandat ont cette intention.
DW : Les ADF sont un ennemi difficile, une milice difficile à combattre. Est-ce qu’un dialogue avec les ADF serait envisageable ou même possible vu que ce n’est pas une structure unifiée, mais plutôt une milice en rang dispersé ?
Leila Zerrougui : Ce n’est pas une milice - c’est un groupe armé qui s’est installé en RDC dans les années 80. Mobutu (Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Zabanga, l’ancien président du Zaïre devenu RDC, ndlr) leur avait donné ce territoire. Donc, ils considèrent que c’est leur territoire qui leur appartient.
DW : Et ils se mêlent aussi à la population...
Leila Zerrougui : Bien sûr, parce qu’il y a des mariages, il y a aussi l’économie. Ils vendent aussi l’or et aussi le timber, le bois, vers les pays voisins. Donc, il y a une dimension économique, il y a une dimension sociale. Il faudrait bien évidement faire attention pour qu’on ne se retrouve pas avec un groupe armé qui pourrait avoir une dimension beaucoup plus internationale que régionale entre l’Ouganda et le Congo.
Moi, je ne crois pas qu’on règle les problèmes uniquement par les armes. Bien sûr, on ne va pas les mettre sur un mur et on va les fusiller. Vous avez des enfants, vous avez des femmes. Est-ce on va les tuer ? On doit travailler pour les prendre en charge, pour les intégrer. Il y a toujours une dimension sociale, une dimension politique, une dimension qui permet de tourner la page. Si on ne tourne pas la page, on reste dans l’instabilité.
DW : Merci beaucoup, Madame Leila Zerrougui.
Leila Zerrougui : Merci !
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