Leïla Zerrougui, cheffe sortante de la Monusco, répond aux questions de notre correspondant à Kinshasa, après trois ans passées à la tête de la plus importante mission des Nations unies en Afrique. Elle cède sa place à Bintou Keïta.
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Leïla Zerrougui : J'étais arrivée [il y a trois ans, ndlr] au moment où il y avait un rejet de la mission : la Monusco ne devait pas appuyer l'organisation des élections. La communauté internationale était mise à l'index. Le plus grand défi pour moi était de convaincre que c'est nécessaire pour la mission de travailler avec les autorités et de pouvoir influencer positivement un processus qui peut être quelque chose d'exceptionnel pour le pays, comme il peut être une crise qui peut dégénérer en une crise extrêmement grave.
Pendant cette période de tension, nous avons eu l'explosion de l'Ebola, d'abord en Équateur et puis plus à l’Est. C'étaient les grands défis de 2018.
Après, en 2019, la RDC était sans gouvernement dans un pays où vous avez encore des conflits à l'Est, où vous avez encore une maladie grave dans une zone de conflit.
Et puis en 2020, la Covid-19 débarque. Je ne peux pas dire qu'il y a eu une année où il n'y avait pas de grand défi.
Comment convaincre les partenaires et le gouvernement et mes staffs et le quartier général des Nations unies à New York que ce que nous faisons, c'est ce qu'il faut faire et que lorsqu'on calcule mal, les conséquences sont dramatiques ?
DW : Justement, vous êtes arrivée en RDC, à Beni, Butembo, dans l’Ituri… vous avez vécu cette insécurité et maintenant vous partez et ces zones qui sont toujours en insécurité. Comment expliquez-vous aux habitants du Grand Kivu, de l’Ituri, que la mission la plus importante de l’ONU a réalisé si peu de progrès sur le terrain ?
Je ne veux pas donner l'impression d'être cynique parce que je ressens la souffrance et une personne qui meurt injustement, c’est une personne de trop, or des gens meurent tous les jours.
Mais je voudrais dire aussi que malgré cela, il n'y a pas aujourd'hui de groupes armés qui occupent des territoires en RDC. Il n'y a pas une zone où les FARDC n'ont pas accès.
Celui qui tue, il se cache, il se faufile la nuit et il attaque les plus éloignés.
Ça me fait de la peine de laisser les gens souffrir, mais je pense qu'un travail est en train de se faire.
Je dis à la population : soutenez votre armée, ayez confiance en elle, donnez-lui l'envie de vous protéger, ne permettez pas la manipulation par les groupes armés ou par d'autres qui vont vous vulnérabiliser.
La souffrance est dure, mais aussi il y a quelque chose qui peut être fait et qui sera fait. Il y a une volonté qui existe au niveau du gouvernement, au niveau des institutions, pour que cette violence cesse.
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Il y a un rapprochement régional qui va aussi aider à réduire l'espace pour ceux qui commettent les crimes. Il y a un travail au niveau international. Il faut réconcilier les communautés pour créer de l'emploi. Il faut lutter contre l'impunité. Il faut renforcer l'armée pour contrôler les frontières. Il faut empêcher le trafic des richesses de la RDC. C'est un travail que nous devons faire en commun.
DW : Une autre question, Leïla Zerrougui, est celle du déploiement de la brigade d'intervention rapide que beaucoup voudraient vraiment voir contre ces rebelles ougandais des ADF qui terrorisent la population de l’Est. Quels conseils donnez vous à Bintou Keïta ?
Je pense que Bintou a été impliquée dans tout le processus de l'amélioration de la performance de la FIB [United Nations Force Intervention Brigade, Force d’intervention rapide de l’ONU, ndlr]. C'est une décision qui a été prise après les attaques en décembre 2019 contre notre base. Donc, il y a un travail qui est en train de se faire, d'améliorer les capacités techniques.
Tout ce qui est intelligence, appui efficace aux FARDC, coordination, planification conjointe, utiliser les moyens technologiques pour identifier où se trouve l'ennemi, réduire son accès et comment contenir les zones qui ont été libérées.
Ce travail, bien évidemment, se fait étroitement avec les FARDC. Il n'y a de réalisation à long terme de la paix que si ceux qui vont assurer sur le long terme la protection des populations sont au même niveau.
Les autorités insistent pour que la FIB soit la dernière à partir. C'est parce qu'ils savent que cet outil est efficace pour eux.
Bintou continuera à assurer l'amélioration de la performance, à soutenir l'importance de la coordination étroite et la confiance entre la FIB, la Monusco dans sa globalité, les FARDC et le gouvernement. C'est comme cela qu'on va y arriver.