Les femmes dans le cinéma africain, un certain regard // Cracolândia, pays du crack en plein Saô Paulo
De Cierta Manera, de Sara Gómez, a été présenté au 20ème Festival du Film africain de Cologne qui a eu lieu en septembre… Ce long-métrage met en scène Yolanda, une jeune enseignante dans le Cuba révolutionnaire des années 1970, tiraillée entre sa volonté d’émancipation et la société machiste dans laquelle elle évolue.
Plus de femmes dans le cinéma dans les années 1970
Ce mélange de fiction et de documentaire fait partie du cycle Tigritudes, une anthologie de cinéma panafricain qui réunit 126 films réalisés entre 1956 et 2022. Seule une petite trentaine sont l’œuvre de réalisatrices.
Un nombre qui correspond à la proportion des productions réalisées dans cette période, selon Dyana Gaye, qui a co-créé le cycle Tigritudes. La réalisatrice franco-sénégalaise était cette année la marraine du Festival du Film africain de Cologne. Pour la partie du cycle consacrée aux années 1970, elle a d’ailleurs sélectionné davantage de films réalisés par des femmes.
"Il y avait beaucoup de femmes qui se lançaient dans le cinéma, que ce soit dans la diaspora aux États-Unis, que ce soit sur le continent, il y avait des femmes au même titre que les hommes qui se mettaient à faire du cinéma. Mais ce sont des carrières qui ont été souvent extrêmement éphémères, ou foudroyées, ou brisées."
Parmi les carrières brisées, il y a celle de Sara Gómez justement. La réalisatrice aro-cubaine, décédée à 32 ans en 1974, a eu le temps de réaliser neuf films en dix ans. Mais elle n’a pas pu achever De Cierta Manera, son unique long-métrage...
D’autres réalisatrices comme la Camerounaise Thérèse Sita-Bella ou la Sénégalaise Safi Faye ont marqué cette décennie, apportant leur regard sur les bouleversements sociétaux qui ont suivi les indépendances africaines.
Des récits différents
Ces pionnières ont montré que les femmes avaient leur rôle à jouer dans la création cinématographique, mais c’était il y a plus de 40 ans… Depuis, il y a eu d’autres réalisatrices, bien sûr. Des réalisatrices qui racontent des histoires différentes de leurs collègues masculins, selon Ezinne Ezepue. Elle enseigne le cinéma à l’université du Nigeria et est actuellement post-doctorante en storytelling africain à l’école internationale de cinéma de Cologne.
"Il s'agit pour nous de raconter des histoires comme nous voulons qu'elles soient racontées. Dans le film King of Boys, par exemple, la protagoniste grandit au point de défier les hommes, et elle n'est pas battue à la fin. Mais si cette histoire était racontée par un homme, à la fin du film elle serait punie pour avoir osé tenir tête aux hommes et se battre dans le même espace qu'eux."
King of Boys est l’œuvre de la réalisatrice nigériane Kemia Adetiba en 2018. Le film raconte l’histoire d’Ahaja Eniola Salami, une femme d’affaire philanthrope à l’avenir politique prometteur qui se retrouve empêtrée dans une lutte de pouvoir et va devoir faire preuve de force pour s’en sortir.
Selon Ezinne Ezepue, la représentation de femmes fortes dans le cinéma montre au public féminin que ce n’est pas à la société de décider à leur place.
Derrière la caméra, la soi-disant fragilité est une force
Mais il n’y a pas que les récits qui sont différents, il y a aussi la manière de filmer. Pour son quatrième documentaire Al Djanat, la réalisatrice burkinabè Chloé Aïcha Boro est revenue dans la cour de son enfance au Burkina Faso après le décès de son oncle, un haut dignitaire religieux.
Elle a pu constater - et filmer - comment cette disparition a chamboulé l’équilibre familial, lorsqu’une partie de sa famille a revendiqué l’héritage devant les tribunaux, allant à l’encontre de la tradition de transmission par legs oral.
Dans son film, Chloé Aïcha Boro montre notamment l’accouchement de Sana, la femme de son cousin. Un moment intense, intime, qui a suscité la critique là où elle ne l’attendait pas :
"Des hommes m'ont dit c'est quand même dur de nous faire vivre ça, mais ils ne l'ont pas dit, ça n'a rien à faire là. Par contre, des femmes - et là j'étais très étonnée - m'ont dit : mais c'est trop choquant, tu ne peux pas montrer ça, l'intimité de la femme, c'est une question de la pudeur."
Une autre scène du film montre une réunion entre les héritiers – exclusivement masculins – de l’oncle Ousmane, juste avant que certains décident de porter l’affaire devant les tribunaux. La rencontre se termine presque en bagarre… Chloé Aïcha Boro estime qu’elle n’aurait pas pu filmer cette scène si elle avait été un homme...
"Moi je suis la petite chose fragile qui peut rentrer. En plus, je suis accompagnée d'autres petites choses fragiles qui sont des blancs ou des blanches. Donc on fait moins peur, et j'ai vraiment l'impression, au bout de douze ans de documentaire, que finalement cette supposée fragilité de la femme lui permet de rentrer avec sa caméra dans des endroits où un homme ferait peur, et un homme avec une caméra encore plus."
Des équipes techniques qui se féminisent
Sur un plateau de tournage, ce sont surtout des hommes qui sont derrière les caméras, les femmes étant souvent cantonnées à certains types de métier comme scriptes, costumières ou maquilleuses.
Mais c’est en train de changer. L'équipe technique de Dyana Gaye, par exemple, est constituée de femmes. Et c'est pour la réalisatrice notamment une manière de se protéger de la misogynie rencontrée sur les plateaux de tournage, en Afrique comme en Europe.
"Moi j'ai une équipe qui s'est féminisée avec le temps. Ma manière à moi de m'en protéger, ça a été de créer ce cercle autour de moi un cercle de sororité qui me permet d'accueillir ces énergies un peu néfastes sur le tournage, plus sereinement. Et puis de me sentir plus forte."
Ramat Musa est une actrice afro-polonaise. Elle constate aussi un changement dans son pays :
"Je pense que beaucoup de gens, même dans l'industrie cinématographique, ne peuvent toujours pas imaginer qu'une femme porte une caméra. Parce que c'est lourd. Parce que c'est un travail difficile. Parce que c'est physique… Qui se demandent comment une femme peut passer 15 heures sur un plateau... Je pense que ce sont des préjugés très répandus dans l'industrie cinématographique, mais je pense aussi que de plus en plus de personnes réalisent que s'il y a des espaces où nous ne sommes pas les bienvenues, nous créons nos propres espaces."
Selonune étude de l’UNESCO publiée en 2021, la part des femmes dans l’industrie du cinéma représente environ 10% en Afrique centrale et de l’Ouest. Mais dans certains pays anglophones et arabophones, elles sont déjà près d’un tiers à travailler devant et derrière la caméra.
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Cracolândia, la samba contre le crack
Direction Sao Paulo, et le territoire de la Cracolândia. En plein cœur de la plus grande métropole d’Amérique latine, et à cheval sur plusieurs quartiers historiques, ce territoire concentre depuis près de 30 ans toute la misère de Sao Paulo. Entre 1 000 et 1 500 personnes vivent dans des conditions très précaires : sans eau, sans toilettes, et sur un territoire devenu une grande scène ouverte de consommation de tous types de drogues. Notre reporter Sarah Cozzolino est allée à la rencontre de ceux qui forment le « flux » des usagers de drogues, que différentes associations tentent d’approcher avec un regard différent. Elles veulent croire qu’il y a de l’espoir pour les habitants de Cracolandia.
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