L'ombre de la dictature Marcos plane sur les Philippines
11 mai 2022La victoire écrasante, à la présidentielle philippine, de Ferdinand Marcos Junior a un air de déjà-vu. Elle laisse un goût amer aux victimes de la dictature de son père et aux défenseurs des droits humains. L'un des premiers gestes du nouveau président élu a d'ailleurs été ce mercredi (11.05.) de se recueillir sur la tombe de son père. Et le choix de sa vice-présidente ne rassure guère non plus sur ses intentions : Sara Duterte est la fille du président sortant, un populiste de droite au régime brutal.
"Bongbong", fils de son père
Le surnom de Ferdinand Marcos Junior, "Bongbong", pourrait prêter à sourire. Mais sa victoire avec 97% des voix fait craindre un retour de la dictature exercée pendant 21 ans par son père, Ferdinand Marcos Senior.
Celui-ci était soutenu par les Etats-Unis qui voyaient en lui un rempart contre le communisme. Il a été chassé par une révolte populaire, en 1986. Il laisse alors derrière lui un pays exsangue, meurtri par deux décennies de terreur qui ont fait des milliers de morts et disparus.
Biens mal acquis, terreur
La famille Marcos est contrainte à l'exil et part à Hawaï, l'épouse du président déchu parvient tout de même à emporter avec elle ses 2.700 paires de chaussures de luxe.
Le clan ne peut rentrer aux Philippines qu'en 1991, après la mort de Ferdinand Marcos. La justice les condamne à rembourser cinq milliards de dollars de biens mal acquis. Leur fortune détournée pourrait atteindre le double de cette somme.
Alors la victoire du fils Marcos, un peu plus de 30 ans plus tard, est un coup de tonnerre pour les victimes de la torture sous la loi martiale. Etta Rosales est l'une d'entre elles. "Je ne m'y attendais pas du tout", raconte-t-elle . "Pourquoi un autre Marcos, tout d'un coup, deviendrait président ? Comment voulez-vous qu'on leur pardonne ? Ils n'ont jamais reconnu ce qu'ils avaient fait au peuple philippin."
Plus de 70.000 opposants ont été torturés, emprisonnés ou tués sous l'ère Marcos père.
Duterte et fille
Quant à la guerre contre la drogue menée par le président sortant Rodrigo Duterte, elle a fait aussi des milliers de morts sur lesquelles enquête déjà la Cour pénale internationale.
Alors Emerlynne Gil, directrice régionale d'Amnesty International pour l'Asie-Pacifique, s'inquiète de constater que ni Ferdinand Marcos Junior ni sa future vice-présidente, la fille de Rodrigo Duterte, n'ont pris leurs distances avec les agissements de leurs pères respectifs – bien au contraire.
Emerlynne Gil note même qu'"ils ont évité de répondre aux questions concernant les meurtres, la détention sous la torture pendant la loi martiale, et aussi les meurtres qui ont été commis dans le contexte de la guerre contre la drogue de Duterte. [...] Ce sont deux personnes qui vont diriger les Philippines qui refusent d'engager des conversations sur la responsabilité des violations des droits de l'Homme."
Désinformation sur les réseaux sociaux
La victoire malgré tout de Ferdinand Marcos Junior s'explique en partie par une campagne de désinformation menée sur les réseaux sociaux. Appuyé par le pouvoir Duterte, les militants pro-Marcos ont réussi à faire passer son père pour un héros de la nation aux yeux des plus jeunes, qui n'étaient pas nés quand le dictateur a été chassé par la rue.
L'analyste politique Bob Herrera Lim minimise pour sa part les risques. Il souligne que les institutions financières du pays ont gagné en indépendance vis-à-vis de l'exécutif par rapport aux années 1970 ou 1980.
Certains Philippins espèrent désormais que les leçons tirées de l'histoire permettront au peuple de rester vigilant et d'éviter que ne se reproduisent les crimes du passé.