L'échec historique de l'Onu au Rwanda
8 avril 2014Les Nations unies ressentent toujours, 20 ans après le génocide, la « honte » de ne pas avoir empêché les massacres de 1994 au Rwanda. C'est ce qu'a déclaré Ban Ki-moon, lundi 7 avril 2014 à Kigali, lors du lancement des cérémonies officielles de commémoration :
« J'ai rencontré des rescapés du génocide, j'ai écouté leur chagrin. Lorsque j'ai visité pour la première fois le mémorial de Gisozi, j'ai vraiment senti le silence de la mort, le silence de ceux qui sont partis et le silence de la communauté internationale. Nous aurions pu faire mieux, nous aurions dû faire plus encore. »
Une mission mal équipée
Lorsque le génocide commence le 7 avril 1994, l'Onu est présente dans le pays depuis quatre mois avec la Minuar, la mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda.
Mais la mission de paix a un mandat faible. Et les 2.500 Casques bleus, dirigés par le général canadien Roméo Dallaire, sont surtout très mal équipés. Interviewé en 2004 par notre programme à l'occasion de la sortie de son livre-témoignage « J'ai serré la main du diable », Roméo Dallaire dénonce le manque de volonté politique de la communauté internationale, dont l'attention était alors concentrée sur la guerre en Yougoslavie :
« Il y a eu plus de Rwandais de tués, blessés et déplacés en 100 jours qu'en six ans de guerre en Yougoslavie. Moi je ne pouvais pas garder des troupes, on n'arrivait même pas à nous nourrir, et pendant ce temps-là on mettait des milliards dans les troupes en ex-Yougoslavie. »
Erreur d'appréciation fatale
Outre les défaillances de la Minuar, c'est aussi la mauvaise appréciation des événements qui explique l'échec international au Rwanda. Dès janvier 1994, Roméo Dallaire avait tenté de prévenir l'Onu de la préparation de massacres d'envergure. Mais son appel reste ignoré. Au plus fort des massacres, il tentera de nouveau de prévenir son supérieur direct, le chef des opérations de maintien de la paix Kofi Annan...
Mais pour les Nations unies, le Rwanda est en guerre civile, il faut donc donner la priorité à la diplomatie. C'est ce qui ressort des déclarations du secrétaire général de l'Onu, Boutros Boutros-Ghali, lors d'une visite à Bonn, alors capitale allemande, le 13 avril 1994. La Belgique envisageait alors de retirer son contingent de la Minuar, suite à l'assassinat de 10 soldats :
« Il y a trois options : poursuivre les négociations avec les deux protagonistes de la crise pour obtenir un cessez-le-feu. La deuxième est de retirer toutes nos troupes, étant donné que les Belges veulent retirer les leurs. Et la troisième est de maintenir nos troupes et d'envoyer des renforts pour remplacer les Belges s'ils décident de se retirer. »
Pas d'ingérence
Le 21 avril, le Conseil de sécurité vote une réduction des effectifs de la Minuar à 270 hommes. Les Casques bleus qui restent au Rwanda vont donc assister, impuissants, aux massacres qui continuent en toute impunité. Leur mandat ne leur permet pas d'intervenir, explique Gerd Hankel, spécialiste du Rwanda à l'Institut de recherches sociales de Hambourg :
« À l'époque, les missions de l'Onu étaient des missions de paix. Vouloir sauver ou sauver des gens même menacés de mort revenait à une ingérence dans les affaires intérieures d'un pays, donc officiellement c'était interdit. »
Après la victoire du FPR en juillet, l'Onu reconnaîtra qu'il y a eu un génocide et mettra rapidement en place un tribunal spécial, le TPIR, pour en juger les responsables.
Les leçons du génocide rwandais
Tout en reconnaissant, hier encore, l'échec de la communauté internationale en 1994, Ban Ki-moon a néanmoins estimé que celle-ci avait retenu des leçons du Rwanda.
Un avis que partage Gerd Hankel : « Dès qu'il y a un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre qui se profilent à l'horizon, la communauté internationale a un devoir moral d'agir. C'est avec cette doctrine qu'on a en quelque sorte tiré les leçons de l'échec total et frustrant de 1994 au Rwanda. »
Désormais, la plupart des missions de paix se déroulent sous le chapitre 7 de la charte des Nations unies et les Casques bleus ont le droit d'intervenir sans être accusés d'ingérence. Lundi à Kigali, Ban Ki-moon a également cité comme exemple le Soudan du Sud, où les bases de l'Onu ont été ouvertes aux réfugiés depuis la mi-décembre. Un geste qui a permis de sauver des milliers de personnes, a souligné le secrétaire général des Nations unies.
Bonus audio :
- l'interview complète de Gerd Hankel, de l'Institut de recherches sociales de Hambourg,
- la déclaration du ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier. Il trace un parallèle et rappelle les vaines promesses faites après le génocide des juifs sous le nazisme en Allemagne,
- le témoignage de la regrettée Alison Des Forges, grande spécialiste du Rwanda auprès de Human Rights Watch et auteur du livre « Aucun témoin ne doit survivre »