La Minusma reste un "important facteur de stabilisation"
29 juin 2022Le mandat actuel de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) expire le 30 juin. En prévision de cette expiration du mandat, le Conseil de sécurité de l'Onu va débattre ce jeudi d'une éventuelle prolongation. L'issue ne fait pas de doute car la MINUSMA reste un maillon important dans le dispositif sécuritaire au Mali, dans le contexte actuel de retrait des troupes françaises. C'est en tout cas ce que pense Ulf Laessing. L'expert allemand dirige le programme régional Sahel de la fondation Konrad Adenauer. Il revient d'ailleurs d'une mission à Gao, dans le Nord du Mali.
Écoutez ou lisez son interview ci-dessous.
DW : Pensez-vous que la MINUSMA est vraiment capable d'améliorer la situation sécuritaire, vu que son mandat ne lui permet déjà pas d'opérer activement contre les groups terroristes ?
Ulf Laessing : La MINUSMA contribue à la stabilisation du Nord du Mali grâce à sa présence d'une manière générale et à ses patrouilles. Cela est important car lorsqu'une patrouille arrive, qu'elle soit de l'armée allemande ou de la Minusma, cela permet aux tribunaux de fonctionner, aux juges de travailler et prononcer des jugements, aux marchés de se tenir partout et aux acteurs humanitaires de mener des projets de développement là où il faut. C'est donc en fait un important facteur de stabilisation que l'on ne souligne pas assez. Il ne s'agit pas seulement de combattre les terroristes mais de donner une perspective aux gens, garantir le fonctionnement des instruments de l'Etat et favoriser le déroulement des projets de développement.
DW : Justement, comment s'organise la MINUSMA après le retrait de la force française Barkhane ?
Ulf Laessing : La MINUSMA dans son ensemble est un peu affaiblie car son mandat fait d'elle une mission défensive , au moment où les Français se chargeaient de combattre avec leurs hélicoptères de combat. Le départ de tout cet arsenal prive la mission de l'Onu de capacités aériennes. La MINUSMA essaie actuellement de trouver des alternatives mais les Etats qui disposent de moyens aériens et qui pourraient intervenir sont tous occupés par la situation dans l‘Est de l'Europe. Donc il n'y a pas d'alternative possible dans l'immédiat. En conséquence, la MINUSMA va réduire ses sorties hors de ses bases. Et cela, surtout qu‘avec la présence croissante des Russes dans le Nord du Mali, l'Etat malien va prendre des mesures pour restreindre les mouvements aériens de la Minusma comme cela s‘est déjà passé dans d'autres regions.
DW : Pensez-vous que la Bundeswehr, l'armée allemande, devrait continuer son engagement au sein de la MINUSMA ?
Ulf Laessing : Tant qu'il est possible d'assurer la sécurité des soldats allemands, la Bundeswehr devrait poursuivre son engagement. L'Allemagne a un rôle important, étant devenu de loin, le plus grand partenaire européen de l'Onu, en terme d'effectif de troupes au sein de la MINUSMA. Et le contingent est en train de grandir. La mission Lazarette s‘élargit. La Bundeswehr va intervenir dans l'évacuation de blessés de l'Onu. A cela s'ajoutent d'autres responsabilités à savoir le renseignement, l'approvisionnement en énergie, en nourriture et en medicaments de la base militaire de Gao où des milliers de casques bleus sont stationnés. Si la Bundeswehr venait à se retirer elle aussi, ce serait très pénalisant pour la MINUSMA et c'est une raison de plus pour rester, outre le fait qu'il est de notre intérêt et notre responsabbilité d'aider une région en crise à s'en sortir.
DW : L'armée malienne et ses partenaires russes ont pris leur quartier dans toutes les bases laissées par les Français. A Gao, cela impose à la Bundeswehr et la MINUSMA, dans un proche avenir, une cohabitation inévitable.
Ulf Laessing : Jusque là, les Russes ont intégré toutes les casernes abandonnées par l'armée française. Symboliquement cet acte constitue une démonstration de force aux côtés d'un partenaire qui est présenté comme plus fiable que le précédent. On l'a vu récemment à Gossi et Ménaka, deux casernes du Nord où les Russes ont emménagé après le départ des Français. On va voir comment évolue la situation à Gao où les Français avaient érigé leur principale base militaire dans le Nord. En fait, le camp militaire faisait partie de tout un complexe autour de l'aéroport de Gao et où la Bundeswehr tout comme des milliers d'autres casques bleus sont positionnés. Donc si les Russes intègrent ce camp, ils se trouveraient en effet dans le voisinage immédiat. Dans ce cas, il sera question, disons, de trouver le moyen de tolérer cette cohabitation.
DW : Le Mali regorge de gisements d'or, ce qui représente un intérêt stratégique pour la Russie. Mais aussi sur le plan géopolitique, ce pays joue un grand rôle pour la Russie : plus la région est instable, plus les flux migratoires en direction de l'Europe vont s'intensifier. Et la Russie vise la division de l'Europe…
Ulf Laessing : Le Mali est important pour la Russie car ce pays est un important client pour l'armée russe. Et, depuis l'indépendance du Mali, des officiers maliens ont fait leurs études en Russie où ils ont été formés. L'armée malienne utilise de l'armement russe tels que les hélicoptères de combat, les kalashnikov, donc c'est d'une part intéressant pour la Russie. D'autre part, évidemment, ce partenariat est un levier aux mains de Moscou pour diviser les Occidentaux. Ainsi, cela a permis de pousser la France dehors, opposer les Occidentaux entre eux et de ce fait, cela a une signification sur le plan géopolitique. Avec la crise actuelle en Ukraine, ce partenariat prend une valeur économique pour la Russie car le Mali possède de l'or mais aussi du lithium qui est une resource rare entrant dans la fabrication de batteries. Certes, il n'y a encore aucune preuve de ce que Moscou exploiterait l'or mais de toutes les façons cela permettrait à la Russsie de stabiliser sa monnaie et son économie durement touchée par les sanctions occidentales.