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"Mon intention, ce n'est pas de plaire à tout le monde"

Blaise Dariustone
12 août 2020

L’opposant tchadien de 37 ans est trop jeune pour être candidat à l’élection présidentielle dans son pays. Il n’a pas les 45 ans requis. Il revient sur la lutte pour la démocratie dans son pays.

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Ancien économiste principal à la Banque africaine de développement (BAD), Succès Masra avait démissionné en mars 2018 pour créer son parti Les Transformateurs. Mais deux mois après l’annonce de la création de cette formation, le gouvernement du président Idriss Deby a révisé la Constitution pour rehausser à 45 ans l’âge pour pouvoir devenir président. A l’approche de la prochaine élection présidentielle, prévue en avril 2021, Succès Masra, qui aura 38 ans à cette date, et bon nombre de jeunes leaders des partis politiques d’opposition, critiquent cet âge minimum de 45 ans dans le pays.

Succès Masra est notre invité de la semaine. 

 

DW: Succès Masra, bonjour.

 

Succès Masra: Bonjour.

 

Succès Masra a créé le parti Les Transformateurs
Succès Masra a créé le parti Les Transformateurs Image : DW/B. Dariustone

DW: Le premier tour de la prochaine présidentielle au Tchad est prévu en avril 2021. Mais selon l'actuelle Constitution, vous ne pouvez pas être candidat parce que vous n'aurez pas 45 ans à cette date, comme l'exige cette nouvelle loi fondamentale. Quelle est votre réaction?

 

Succès Masra: Ecoutez, l'élection présidentielle, c'est la chose la plus importante. Et si on réduit les élections présidentielles à un apartheid démocratique, je parle d'apartheid démocratique parce que le président actuel a voulu, c'est son souhait, d'éliminer 80 pour cent de la population qui a mon âge pour choisir des candidats que le président actuel connaît, avec qui il va aller aux élections. Si dans dans une démocratie, 80 pour cent de la population est exclue, c'est un apartheid démocratique et donc ça perd son sens de démocratie. Le président actuel, en 2021, j'aurais exactement son âge quand il a pris le pouvoir. Nous avons même eu droit dans ce pays à un président plus jeune que moi, 35 ans, monsieur Goukouni Weddeye. Donc, monsieur Deby, à 38 ans, peut être président et nous autres, nous n'avons pas le droit.

 

DW: En plus de cela, les autorités tchadiennes refusent toujours de reconnaître l'existence de votre parti, Les Transformateurs. S'agit-il d'un acharnement, selon vous?

 

Succès Masra: La seule chose qu'on a voulu nous objecter, il faut que les Tchadiens le sachent, c'était de dire qu'il y avait trois personnes qui étaient des conseillers qui avaient moins de 30 ans dans notre parti. Nous avons changé ces gens-là deux jours après par tous les dirigeants qui ont plus de 30 ans. Cela est fait maintenant depuis deux ans. Voilà un président qui est arrivé lui-même jeune, à 38 ans, au pouvoir, qui nomme des ministres de 29 ans, qui nomme des généraux de 25 ans - c'est souvent ses enfants et ses neveux- et qui ne veut pas d'un parti qui ne demande pas autre chose que la liberté d'aller à un choix démocratique.

Il y a des partis qui ont des gens de moins de 25 ans à qui on a donné les autorisations de fonctionner. Nous, on a voulu nous refuser. Nous avons remplacé les personnes qui étaient objectées et cela a été reconnu par un huissier de justice. Et cela a été publié au Journal officiel de la République tenu par le gouvernement. Malgré cela, on veut nous refuser. Donc, Les Transformateurs sont devenus l'obsession de ceux qui sont au pouvoir parce que Les Transformateurs veulent enfin un Tchad de justice pour l'ensemble des Tchadiens, les Tchadiens le savent. Donc, il ne faut pas qu'ils existent juridiquement, il ne faut pas qu'ils existent politiquement, il ne faut pas que leur leader ait la possibilité d'être candidat. Voilà l'enjeu. Jamais, on n'acceptera cela. Si les élections à venir veulent s'organiser sans Les Transformateurs, je vous le dis de la façon la plus nette, ils vont devoir marcher sur nos corps. Il s'agit d'une question de justice et je demande à tous les Tchadiens qui me suivent de se tenir prêts pour une résistance civique jusqu'à ce que ces choses-là puissent changer.

Le Tchad organise l’an prochain l'élection présidentielle
Le Tchad organise l’an prochain l'élection présidentielle Image : picture-alliance/dpa/M. Ramadane

 

DW: Il y a quelques semaines, votre parti a lancé une pétition pour exiger votre candidature à la présidentielle prochaine. Pensez-vous qu'une pétition peut changer quelque chose?

Succès Masra: En réalité, c'est une pétition qui a été lancée par des Tchadiens simplement, qui veulent que toutes les voix s'expriment. Ils ne demandent pas un traitement de faveur. Ils demandent simplement que tous les Tchadiens aient le droit d'être candidats s'ils le souhaitent. Les 80 pour cent des Tchadiens, y compris les jeunes du parti au pouvoir et des autres partis politiques, parce que c'est la majorité du peuple. Est-ce qu'un Tchadien sérieux peut être d'accord avec une Constitution qui exclut 80 pour cent de la population? Donc, ils ont eu le mérite de lancer cela. Et, croyez moi, c'est la plus grande pétition de l'histoire politique de notre pays, signée par plus de 100.000 personnes sur papier et sur internet. Mais, ils ne demandent pas simplement le droit à la candidature de monsieur Masra. Ils demandent le droit à la candidature pour les 80 pour cent des Tchadiens. Ils demandent que l'équilibre des pouvoirs soit restauré. Ils demandent que le serment confessionnel soit enlevé. Donc, vous voyez, c'est une question de bon sens. En toute humilité, mais en toute franchise, je pense sincèrement que je suis mieux préparé à diriger le Tchad aujourd'hui que monsieur Deby. Nous ne demandons rien d'autre: le droit légitime et non négociable de nous présenter devant le peuple et demander à ce peuple-là de choisir.

 

DW: Accepteriez-vous de désigner un autre membre de votre parti âgé de 45 ans ou plus afin de représenter votre parti à la prochaine présidentielle ou bien soutenir un autre candidat de l'opposition en cas d'impossibilité de votre candidature?

Succès Masra: Est-ce que vous pensez que ceux qui ont mis tout en œuvre pour éliminer des gens qu'ils considèrent comme sérieux et crédibles pour les affronter vont s'accommoder d'une autre candidature? Ils trouveront peut-être aussi un autre argument. Le moment viendra où ces choix pourront être faits. Qui vous dit que c'est forcément Succès Masra qui sera candidat pour Les Transformateurs? On peut même décider de mettre une autre personne. Donc, il ne faut pas personnaliser le combat en disant non, comme il y a un obstacle lié à l'âge, on n'a qu'à changer seulement de personne.

 

Idriss Deby au pouvoir depuis trois décennies a été intronisé maréchal
​​Idriss Deby au pouvoir depuis trois décennies a été intronisé maréchal Image : DW/B. Dariustone

DW: Beaucoup de vos détracteurs vous jugent arrogant, suffisant et trop pressé. Que leur répondez vous?

 

Succès Masra: Vous savez, on dit si vous voulez plaire à tout le monde, allez vendre les glaces! Même si vous vendez les glaces, ceux qui ont les problèmes de dents vont vous détester. Donc, mon intention, ce n'est pas de plaire à tout le monde, ceux qui sont au pouvoir actuel, évidemment. Si je leur dis que détourner les deniers publics, ce n'est pas une bonne chose, ils trouvent que c'est de l'arrogance parce qu'ils ont été nourris au lait du détournement. Ceux qui sont arrivés en saluant l'école à distance, qu'on leur dit ce n'est pas normal dans un pays que l'on puisse enlever le mérite et la compétence au profit des intérêts partisans, ils vous diront que vous êtes suffisant. Ceux qui sont arrivés au pouvoir depuis des années, qui n'ont pas de résultats, regardez 3% d'accès à l'électricité, le chômage de masse, quand vous leur dites ça, ils disent que ça toujours été comme ça, pour qui vous vous prenez pour demander qu'on puisse changer cela. Ceux qui nomment au gouvernement des gens qui sont issus de leur ethnie, de leur province ou de leur religion, vous leur dites non, vous croyez dans un Tchad dans lequel le mérite, la diversité et la compétence, l'inclusion de tous les Tchadiens doit devenir la règle, ils vous disent vous êtes arrogant. Vous savez, le problème du Tchad aujourd'hui, depuis les 30 dernières années, par exemple, c'est que nous n'avons pas eu un dirigeant à la hauteur. Donc, le seul combat qui vaille devant nous, c'est l'alternance au sommet de l'Etat, une première et la toute première alternance de façon démocratique. Là est l'enjeu pour l'avenir.

 

DW: Succès Masra, je vous remercie.

 

Succès Masra: Merci à vous.

Vue arienne de N'Djamena
Blaise Dariustone Correspondant au Tchad pour le programme francophone de la Deutsche Welledw_francais