Au Nigeria, le nouveau président Bola Ahmed Tinubu a pris ses fonctions lundi dernier. Il succède à Muhammadu Buhari qui a passé dix ans à la tête du pays.
Comment expliquer cette bonne santé relative de la démocratie au Nigeria ? C'est ce sur quoi porte l'interview de la DW avec Mathias Hounkpè, chercheur au bureau ouest-africain de l'ONG Osiwa.
Suivez l'entretien avec Mathias Hounkpè
DW : Monsieur Mathias Hounkpè, bonjour. Le Nigeria vient de connaître une nouvelle alternance : Muhammadu Buhari a passé le flambeau à Bola Tinubu, est-ce un signe de la bonne santé de la démocratie au Nigeria ?
Disons que l'appréciation de la santé de la démocratie au Nigeria est un peu mêlée, vous avez des signes positifs qui vous rassurent, comme vous avez des signes d'inquiétude.
Vous avez parlé tout à l'heure de l'alternance... quand vous regardez la situation dans la sous-région ouest-africaine, aujourd'hui, on est inquiet par rapport aux pays où les présidents veulent rester au-delà de deux mandats et donc de ce point de vue, c'est comme si le Nigeria était un exemple.
Dans le même temps, si vous avez suivi les élections au Nigeria, c'est comme si on était déçu par la qualité des élections organisées par leur commission électorale qui a organisé de meilleures élections par le passé.
Donc vous êtes satisfait de voir qu'il y a des principes de la démocratie qui sont en train d'être respectés et en même temps, vous êtes inquiet quand vous voyez par exemple la qualité des élections qui ont été organisées.
DW : Voulez-vous parler des faiblesses de la démocratie nigériane ?
Exactement. La Commission électorale nigériane fait partie de l'une de celles qui prend beaucoup de risques en ce qui concerne l'inclusion ou l'utilisation des outils, des technologies de l'information, des outils qui devraient augmenter la transparence dans la gestion des élections nigérianes.
Vous avez un organe central mais vous avez des organes au niveau des États fédérés qui sont dans une sorte d'autonomie relative et donc ça rend l'organisation des élections au Nigeria extrêmement complexe, et c'est très difficile pour l'organe central de contrôler jusqu'au bout la qualité du processus de décision et naturellement, les efforts pour tricher avec le système existent au niveau pratiquement de tous les acteurs politiques.
Je crois que pour moi, c'est l'un des pays où il est relativement difficile de garantir la qualité des élections nigérianes.
DW : Depuis 1999, le Nigeria connaît des alternances à la tête du pays. Comment le Nigeria a-t-il réussi là où certains ont échoué ?
Je pense que dans un premier temps, il faut reconnaître que le Nigeria n'est pas isolé dans la soirée. Le Ghana a connu déjà 2 ou 3 alternances, la Sierra Léone ou le Liberia. Si vous prenez un pays comme le Bénin, aussi… donc vous avez des pays dans la solution où depuis le début des années 1990, il y a l'alternance qui est respectée.
L'un des premiers facteurs, c'est qu'un président décide à un moment donné de respecter la limitation des mandats, ça augmente les chances que les présidents qui suivent ne tentent pas de revenir en arrière.
Au Nigeria, le président Obasanjo avait le désir de se maintenir au pouvoir. Je pense qu'il a tenté et au niveau de la classe politique, il a compris que ça ne passait pas et il a laissé tomber. Et donc depuis qu’Obansanjo a donné cet exemple, président après président, au Nigeria, ils essaient de respecter ce principe.
DW : Alors, est-ce qu'on pourrait s'attendre de la part de Bola Tinubu qu'il prenne par exemple position sur ce qui se passe au Sénégal, les velléités de 3e mandat de Macky Sall ?
Moi, je serais heureux de voir, par exemple, Tinubu prendre une position claire sur des questions comme ça. Encore qu'il faut reconnaître que Buhari a toujours été clair et constant sur cette question ; dans ses sorties publiques, il a toujours martelé que, lui, il respectait et il encourageait les pays à respecter la limitation des mandats.
J'espère que Tinubu va continuer dans ce sens et aller peut-être au-delà et décider de faire des démarches à l'endroit de Macky Sall pour l'amener à renoncer à l'intention qu'on continue de lui prêter de vouloir se présenter pour un 3e mandat.
DW : Le Nigeria a connu une série de coups d'État et les militaires sont également très présents dans la gestion des affaires. Que reste-il de l'influence des militaires ?
Je pense que vous ne pouvez plus voir les militaires comme des acteurs du premier plan, mais ils gardent leur influence dans leur capacité à contrôler deux choses : ils contrôlent l'armée qui, lorsque vous êtes dans un pays comme le Nigeria, qui est un pays en crise où ils ont besoin d'équipements, est une source de génération de revenus importante et ils contrôlent une partie de l'économie du pays.
Vous avez de grands cercles militaires à la retraite ou en fonction, qui sont actionnaires ou propriétaires d'entreprises, qui gèrent une partie de l'économie du pays.
D'une certaine manière, les disputes autour de pouvoirs politiques en Afrique sont souvent fondées sur la répartition des revenus entre les grands groupes. Donc, les militaires au Nigéria, c'est comme s'ils avaient trouvé la manière d'être satisfaits du point de vue de la redistribution des revenus du pays et donc, ils ne considèrent plus l'accession au pouvoir politique en tant que tel comme un objectif qui mérite qu’ils prennent le pouvoir, par exemple, par des coups d'État.