Nigeria : à qui profite le crime ?
30 décembre 2011Les attentats ont été revendiqués par le groupe islamiste Boko Haram. Pour die tageszeitung, Boko Haram est aujourd'hui la principale menace pour la sécurité du Nigeria. Le groupe commet régulièrement plusieurs attentats par semaine, y compris au cœur de la capitale fédérale, Abuja. Le gouvernement nigérian du président Goodluck Jonathan et l'opposition, dominée par des musulmans du nord, s'accusent mutuellement de manquer de détermination. Boko Haram, souligne le journal, fait maintenant partie de la politique intérieure nigériane. Sous le titre « Les puissances des ténèbres », la Süddeutsche Zeitung note que d'Al-Qaïda au Maghreb islamique aux milices Al-chebab en Somalie, en passant par Boko Haram, c'est un dangereux réseau de groupes islamistes qui est en train de se développer dans le nord de l'Afrique.
Boko Haram, souligne l'hebdomadaire die Zeit, ne s'attaque pas seulement à des églises, il s'attaque à tout : des commissariats de police et des casernes militaires, des imams libéraux et des théologiens prétendument hérétiques, des femmes non voilées, des hommes qui regardent des matchs de football et qui boivent de l'alcool. La thèse de la persécution ciblée des chrétiens est donc facile à réfuter, mais reste pourtant populaire. Car le terrorisme islamiste dans le nord du Nigeria cadre bien avec l'idée d'une guerre de religion entre islam et christianisme, avec la théorie du choc des civilisations.
La réalité est plus compliquée. Les principaux facteurs de la crise nigériane sont à chercher dans la lutte quotidienne pour la survie d'une population paupérisée, dans les conflits pour la répartition de ressources en voie de raréfaction - les terres, les patûrages, les points d'eau, le bois de chauffe - dans la migration de réfugiés de l'environnement qui accroissent la pression dans les régions fertiles, enfin dans la faillite de l'élite gouvernementale qui détourne des milliards de pétro-dollars. Comme le souligne un sociologue nigérian cité dans l'article, Gaya Best Shadrack : « La religion et l'ethnicité sont instrumentalisées par des politiciens sans scrupule et par des fanatiques. »
Dans le même ordre d'idées, le président du conseil central des musulmans en Allemagne, Aiman Mazyek, s'élève dans les colonnes du Tagesspiegel de Berlin contre toute interprétation religieuse des attentats. On ferait mieux, souligne-t-il, de se demander à qui profitent les attaques d'églises chrétiennes au Nigeria. Certainement pas à l'islam. Elles profitent à ceux qui ne souhaitent pas que ce pays riche en pétrole trouve la stabilité.
L'amour n'a pas de religion
Par contraste avec les violences au Nigeria, la presse allemande se penche sur un exemple positif en Afrique : c'est celui du Sénégal, où chrétiens et musulmans cohabitent de manière pacifique. Les mariages mixtes n'y sont pas rares, lit-on dans la Berliner Zeitung. Exemple, ce couple rencontré par le journal : Senabou Diouf a 46 ans, elle est musulmane, Alain Sene, de 14 ans son aîné, est catholique. Nous nous sommes mariés trois fois, raconte Senabou : à la mairie, à la mosquée et à l'église catholique.
94% de la population sénégalaise, rappelle le journal, sont musulmans, 5% chrétiens. Depuis l'indépendance du Sénégal en 1960, la loi établit la séparation entre l'Etat et la religion. Les mariages mixtes sont surtout conclus dans les villes et dans les couches éduquées de la société. Les enfants de Senabou et Alain sont élevés dans les deux religions, ils feront eux-mêmes leur choix plus tard. Mais le fameux exemple sénégalais de coexistence pacifique des religions a aussi des ratés : Alain est issu d'une famille musulmane, il a fréquenté l'école catholique et a décidé à l'âge de 12 ans de se convertir au christianisme. Lorsqu'il l'a appris à ses parents, ces derniers l'ont mis à la porte de la maison. Il a trouvé refuge chez un prêtre.
L'Afrique est la nouvelle Chine
Enfin, c'est sur une note d'afro-optimisme qu'un grand journal économique allemand, le Financial Times Deutschland, fait la soudure entre l'ancienne et la nouvelle année. Selon lui il faut que les entreprises occidentales corrigent leur image de l'Afrique. Le continent a changé en profondeur ces dix dernières années et il offre des chances insoupçonnées d'investissement. Au cours de la dernière décennie, écrit-il, six pays africains ont figuré parmi les dix pays du monde ayant connu la croissance la plus rapide. Ils seront bientôt sept. Et ce dynamisme ne tient pas seulement au secteur des matières premières.
En Afrique, ce sont actuellement 60 millions de personnes qui appartiennent à la classe moyenne, et 120 millions d'Africains disposent d'un pouvoir d'achat supérieur à quatre dollars par jour. Beaucoup de pays africains, principalement au sud du Sahara, manquent encore d'infrastructures, de capitaux et de savoir-faire, poursuit le journal. Des chances énormes s'offrent donc aux nations industrielles en matière d'investissements et de coopération. Par exemple dans le secteur énergétique. Si l'on parvenait à accroître d'une heure seulement par jour la disponibilité, très défectueuse, d'électricité, les performances économiques du Nigeria augmenteraient d'environ 9%. Un formidable progrès pour ce pays de 150 millions d'habitants et des opportunités de partenariat pour les fournisseurs européens d'énergie. Car, souligne le journal, ils disposent d'un savoir-faire non seulement dans le secteur de la production d'énergie classique, mais aussi dans celui des énergies renouvelables, décentralisées, dont l'Afrique a si urgemment besoin.
Auteur : Marie-Ange Pioerron
Edition : Fréjus Quenum