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La lutte contre la discrimination comme priorité (OIT)

Elisabeth Asen
18 octobre 2023

Entretien avec Ali Madaï Boukar. Il est le directeur du bureau de l’Organisation internationale du travail en charge de l'Afrique centrale et des pays Cameroun, Sao Tomé et Principe et Guinée Equatoriale.

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Le 17 octobre est la Journée mondiale de l’éradication de la pauvreté.

En 2023, l’accent a été mis sur un emploi décent comme gage de stabilité, de sécurité et de dignité. Ce slogan représente un défi majeur pour le continent africain où le chômage touche massivement la jeunesse et où les inégalités sont omniprésentes dans de nombreux pays.

Ali Madaï Boukar est le directeur du bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour l'Afrique centrale et les pays Cameroun, Sao Tomé et Principe et Guinée Equatoriale. Il revient sur les raisons d'une pauvreté qui ne recule pas, en valeur absolue, sur le continent et sur les problèmes du secteur informel qui représente huit emplois sur dix en Afrique.

Ecoutez ci-dessus l’entretien avec Ali Madaï Boukar

Des manifestants brandissent des casseroles vides à Nairobi et Kisumi, au Kenya, pour protester contre le coût de la vie (photo de mars 2023)
La pauvreté peut pousser à des mouvements de contestation populaire, comme ici au Kenya, en mars 2023Image : SIMON MAINA/AFP

DW : L’élimination de la pauvreté grâce au travail décent, est-ce une réalité pour l’Afrique ?

Ali Madaï Boukar : Je ne dirais pas que c’est une utopie. Lorsqu’on regarde la démographie des pays de l’Afrique, même si on raisonne par rapport à la population active ou la main d’œuvre des personnes qui sont en situation de travail, elle constitue une partie importante en termes de contribution à la création de la richesse, même si le travail n’est pas toujours celui auquel on peut s’attendre.

Et comme c’est un défi qui a forcément un lien avec les conditions de vie des ménages, il y a des agendas qui sont en ce moment en train d’être mis en œuvre, avec l’accompagnement des partenaires, dont l’Organisation internationale du travail, pour faire en sorte que le travail décent soit une réalité et qu’on puisse avoir un avenir meilleur pour le continent.

 

DW : Les enfants sont pour certaines familles défavorisées une source de revenus, ce qui explique le travail des enfants dans les zones rurales, dans les champs, mais aussi dans l’exploitation de certaines cultures comme le cacao. La même chose se retrouve dans les zones minières avec des enfants qui travaillent dans les mines artisanales. Pourquoi de nombreux pays africains ne parviennent pas à éradiquer ce phénomène ?

C’est un phénomène qui est culturel d’abord, parce que très souvent, dans la conscience collective, le travail de l’enfant est perçu comme étant une forme d’éducation de base pour lui permettre de bien affronter sa vie future.

La deuxième chose c’est un facteur économique du fait que très souvent, les ménages sont dans des situations très pauvres, surtout les ménages ruraux. Cela explique pourquoi les chefs de familles qui, à défaut d’avoir des revenus conséquents liés à leurs activités, emploient ces enfants-là comme une main d’œuvre. Cela a bien évidemment à voir avec l’échec de la mise en œuvre des politiques en matière de promotion du développement inclusif et les politiques de protection sociale.

En Angola, la faim pousse des personnes à chasser et vendre des rats. Une femme et un jeune garçon se tiennent en bordure de route près d'un véhicule et ont des brochettes de rats à la main (photo prise en août 2023 au Kwanza Norte)
La vente à la sauvette est souvent un marqueur de pauvreté. Ici, ces Angolais tentent de vendre des rats à manger aux passagers de la voitureImage : António Domingos

DW : La pauvreté n’a que peu reculé en Afrique depuis les indépendances, elle s’est même aggravée dans certaines zones. Le chômage touche massivement la jeunesse aussi, avec des variations selon les pays. Est-ce qu’il y a toutefois des évolutions positives en matière de pauvreté et de chômage ces dernières années ?

Lorsqu’on considère l’indicateur qu’est l’incidence de la pauvreté, ou la proportion des personnes qui sont en-dessous du seuil de pauvreté, une fois que ce seuil-là est pris en compte dans les estimations qui sont faites, on constate d’une manière générale que le taux de pauvreté est en train de reculer… mais dans l’absolu, lorsqu’on doit comptabiliser le nombre de pauvres, les chiffres augmentent.

Donc c’est juste : le taux de pauvreté diminue mais, de façon massive, le nombre de pauvres augmente d’une année à l’autre et cela doit interpeller les politique et communautés pour trouver de meilleures solutions possibles.

On parle de plus en plus de transformation structurelle de nos économies, donc d’efforts de création de richesses en valorisant tous les secteurs qui présentent des avantages comparatifs pour les pays et c’est sur cela qu’il faut investir.

 

DW : Il y a aussi le problème des inégalités de sexes qui reste omniprésent dans toute les sous-régions africaines. Comment travaille l’OIT pour donner une meilleure place aux femmes sur le marché de l’emploi ?

Puisque le mandat de l’Organisation internationale du travail promeut la justice sociale et l’équité pour les différentes classes sociales, et aussi entre les hommes et les femmes, nous avons des conventions qui sont des normes internationales du travail que nous établissons avec les Etats et les partenaires sociaux. Celles-ci font de la lutte contre la discrimination une priorité au niveau des actions des gouvernements.

Donc il y a des mesures qui sont prévues sur le marché du travail et spécifiquement à destination des femmes comme tous les projets de renforcement d’autonomisation des femmes en milieu rural, destinés à accompagner ces femmes à mieux se structurer en coopératives.

En faisant comme ça, nous avons la possibilité de réduire l’écart qui sépare les hommes des femmes sur le marché du travail.

Une étudiante kenyane devant un panneau solaire (photo d'illustration de 2017)
Tous les travailleurs devraient pouvoir accéder à un travail décent, sans discrimination sociale ni de genreImage : Thomas Imo/photothek/IMAGO

 

DW : Le secteur informel représente la grosse part de l’activité économique des emplois en Afrique. Comment peut-on intégrer ces salariés dans l’économie légale ?

Dans la plupart des pays de l’Afrique, surtout l’Afrique subsaharienne, nous avons plus de huit emplois sur dix qui sont qui sont dans l’informel.

Malheureusement nous connaissons tous les conditions de l’activité dans le secteur informel, à savoir qu’il y a un déficit en termes d’accès à la protection sociale. Les revenus ne sont également pas conséquents et il y a aussi [des problèmes dans] les formes de contrats de travail entre l’employeur et l’employé, d’où le combat que nous menons à chaque fois pour accompagner les acteurs de l’informel en leur apportant tout ce qui constitue les insuffisances qui les empêchent d’améliorer leur productivité.