Les Ivoiriens votent ce samedi sur fond de tensions
31 octobre 2020Les bureaux de vote sont ouverts dans la plupart des localités mais l'engouement n'est pas le même partout.
La Côte d’Ivoire est secouée par des violences depuis l’annonce de la candidature à un troisième mandat par le président sortant, Alassane Dramane Ouattara. Et ces violences ont endeuillé la campagne électorale.
Signe de peur et de tension ces derniers jours, les rayons de certains supermarchés se sont vidés. Les populations ont encore en mémoire les violences de la crise postélectorale de 2010 qui a fait 3.000 morts.
De nombreux Ivoiriens se préparent au pire en faisant des réserves alimentaires.
Le dernier jour de campagne a été aussi marqué par l’attaque du convoi du secrétaire général de la présidence ivoirienne, Patrick Achi, un des directeurs de campagne d'Alassane Ouattara
Le convoi a été mitraillé jeudi soir près d'Agbaou, à 150 kilomètres au nord d'Abidjan, sans qu'il y ait de blessés.
Cette fébrilité ambiante n’a tout de même pas empêché le parti au pouvoir de clôturer sa campagne par une parade dans l'après-midi de jeudi dans la grande commune populaire d'Abobo. Une commune réputée être un de ses fiefs électoraux.
Plus de trente morts
Depuis trois mois, les violences et affrontements intercommunautaires ont fait une trentaine de morts en Côte d'Ivoire, un pays comptant une soixantaine d'ethnies et plusieurs millions d'immigrés.
Ce bilan fait craindre une nouvelle crise majeure dix ans après la crise post-électorale issue de la présidentielle de 2010.
Mercredi, avant-dernier jour de campagne, un jeune commerçant a été poignardé à mort dans la commune populaire de Yopougon à Abidjan, et plusieurs véhicules incendiés, selon la police.
L'opposition accuse le pouvoir de faire commettre des meurtres et violences par des milices surnommées "microbes", composées de jeunes délinquants armés, pour contrer son appel à la désobéissance civile et au boycott actif du processus électoral.
Le pouvoir a toujours rétorqué que ces miliciens, dont la présence a été mentionnée par des habitants dans plusieurs villes où se sont déroulées des violences meurtrières, sont orchestrés par l'opposition elle-même.
Quelque 35.000 membres des forces de l'ordre ont été déployés pour assurer la sécurité de l'élection.
Sortie de Laurent Gbagbo
L'ancien chef d'Etat Laurent Gbagbo, qui ne s'était pas exprimé publiquement depuis son arrestation en avril 2011, a déclaré jeudi dans une interview à TV5 Monde que la Côte d'Ivoire allait vers "la catastrophe" et a appelé au dialogue.
"Ce qui nous attend, c'est la catastrophe. C'est pour ça que je parle. Pour qu'on sache que je ne suis pas d'accord pour aller pieds et poings liés à la catastrophe. Il faut discuter", a fait savoir Laurent Gbagbo depuis la Belgique où il attend un éventuel procès en appel devant la Cour pénale internationale (CPI), après son acquittement en première instance de crimes contre l'humanité.
"Discutez ! Négociez ! Parlez ensemble ! Il est toujours temps de le faire. Je suis résolument du côté de l'opposition. Je dis, vu mon expérience, qu'il faut négocier !", a insisté l'ancien président ivoirien qui a vu sa candidature rejetée.
Qui sont les candidats à la présidentielle ?
Ils ont été 44 à déposer leurs candidatures avant que quatre seulement ne soient retenus pour la course à la présidentielle par le Conseil constitutionnel.
L'opposition, incarnée par l'ex-président Henri Konan Bédié, 86 ans, chef du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), et Pascal Affi N'Guessan, 67 ans, chef d'une partie du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, le troisième grand mouvement politique du pays, n'a pas fait campagne. Mais les deux hommes ne se sont pas formellement retirés du scrutin.
Même si Henri Konan Bédié a soutenu Alassane Ouattara en 2010 face à Laurent Gbagbo et en 2015, ils demeurent de vieux rivaux présents sur la scène politique ivoirienne depuis trois décennies.
L'opposition ivoirienne juge "anticonstitutionnel" un troisième mandat du présiden sortant. Après avoir déclaré en mars 2020 qu'il passait la main à la jeune génération, Alassane Ouattara a fait volte-face en août, à la suite de la mort soudaine de son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly.
La Constitution ivoirienne n'autorise que deux mandats présidentiels mais l'adoption d'un nouveau texte fondamental en 2016 a remis le compteur à zéro, selon Alassane Ouattara et son parti, le RHDP.
Le candidat indépendant Kouadio Konan Bertin, 51 ans, est l’outsider du scrutin. Le dissident du PDCI d’Henri Konan Bédié, qui est le troisième candidat se réclamant de l’opposition, a appelé les populations à aller voter ce samedi.
L'opposition dénonce également la disqualification par le Conseil constitutionnel des candidatures de deux autres poids lourds politiques vivant à l'étranger : l'ex-président Laurent Gbagbo et l'ex-chef de la rébellion et ancien premier ministre Guillaume Soro en conflit avec le président Ouattara.
Ce dernier est accusé par le pouvoir de disséminer des fausses informations via les réseaux sociaux en vue de faire peur et décourager ainsi les Ivoiriens d’aller voter.
Quand les réseaux sociaux jettent de l'huile sur le feu
Fausses déclarations, images détournées, vidéos sorties de leur contexte... Les réseaux sociaux en Côte d'Ivoire se sont transformés en vaste terrain de désinformation avant la présidentielle de ce 31 octobre 2020, contribuant à tendre un climat déjà explosif.
Ces dernières semaines, sur les réseaux sociaux et sur la messagerie WhatsApp, chacun a accusé la partie adverse à coup de fausses publications.
L’une des publications virales est celle d’une militante pro-Ouattara en train de préparer des bulletins de vote pour bourrer les urnes. En réalité, elle manipulait des spécimens destinés à expliquer la procédure du vote à la population.
D'anciennes images de manifestations ont aussi été ressorties pour les faire passer pour des protestations actuelles.