Quinze minutes onze secondes. C'est le temps qu'a duré le discours préenregistré mais tant attendu du président Biya à la jeunesse camerounaise samedi soir. Un discours attendu, parce qu'il arrive en pleine crise sécuritaire dans quatre régions sur dix : l'extrême nord, l'est, le nord-ouest et le sud-ouest. Un discours attendu, parce que la circonstance de ce discours (la 52ème fête nationale de la jeunesse de ce 11 février), est dite menacée de sabotage dans les deux régions anglophones par des sécessionnistes camerounais et des "mercenaires venant du Delta du Niger nigérian", si l'on en croit une note du ministre de la Défense.
Quinze minutes et onze secondes pour Paul Biya qui n'a pas été vu en public ces dernières semaines, et dont les derniers actes de signature sont controversés, mais rappellent les nombreux défis auxquels le Cameroun fait face ces dernières années sur le plan sécuritaire, de la guerre contre Boko Haram à la guerre contre les sécessionnistes anglophones, en passant par la gestion des réfugiés et l'insécurité dans la sous région liée en partie à la crise en Centrafrique voisine. Des situations auxquelles le Cameroun fait face dans le but de retrouver le chemin de la croissance, et dont Paul Biya dresse le premier bilan en ces termes : "La capacité de nuisance de Boko Haram a été considérablement réduite, grâce à l'action conjuguée des forces de défense et des populations camerounaises. Des mesures d'accompagnement ont permis à de nombreux déplacés et réfugiés de rentrer chez eux. La situation se stabilise dans le nord-ouest et le sud-ouest, ce qui devrait permettre à la commission de promotion du bilinguisme et du multiculturalisme de s'attaquer au cœur du problème."
Pas le même Cameroun
Dès ces premières lignes du discours présidentiel, des Camerounais (dont le jeune leader politique Serge Matomba) se demandent si Paul Biya parle du même Cameroun dans lequel ils vivent, compte tenu des attaques parfois meurtrières contre les forces de sécurité camerounaises ces dernières semaines, tant dans le nord que dans le nord-ouest et le sud-ouest, et surtout compte tenu des menaces qui continuent de peser sur les régions anglophones, confirmées le 9 février par un message du ministre de la Défense.
Pour autant, Paul Biya affirme que les dernières estimations laissent entrevoir une embellie de l'économie camerounaise, avec une relance de l'activité dans divers domaines. Il déclare à ses jeunes compatriotes qu'ils sont fortement interpellés par l'avenir du pays qu'ils vont avoir à gérer les décennies à venir. "Mais il faudrait que vous sachiez que le nouveau monde qui se prépare sous nos yeux pourrait être plus dur et plus instable que l'ancien", les a-t-il prévenus, indiquant que "le nationalisme, le protectionnisme, l'isolationnisme risquent de gagner du terrain." Paul Biya prédit alors que "dans un monde plus rigoureux et moins ouvert, les pays en développement pourraient connaître plus de difficultés pour protéger leurs intérêts et assurer leur progrès économique et social."
2018, une année décisive
Le chef de l'Etat camerounais se félicite également de la tenue d'événements, comme le récent sommet Union africaine – Union européenne d'Abidjan, qui a mis au centre des préoccupations l'éducation et la formation des jeunes en Afrique, et en particulier l'acquisition de nouvelles technologies ainsi que la modernisation de l'agriculture. Et quid du dernier sommet de l'Union africaine à Addis-Abeba, plus récent que le sommet d'Abidjan, et qui a traité de l'agenda 2063 et de l'espace commun du transport aérien en Afrique ?
Concernant les questions internationales, Paul Biya s'est limité au sommet d'Abidjan, en soulignant qu'il y avait des raisons de ne pas céder au pessimisme et que ses "orientations rejoignent les objectifs des nouvelles routes de la soie présentées par la Chine, et les projets d'aide au développement des pays asiatiques comme l'Inde, le Japon et la Corée du Sud."
Revenant au plan intérieur, le président camerounais rapporte que les dotations budgétaires des trois ministères dédiés à l'enseignement constituent environ 15% des dépenses publiques, traduisant de bons progrès. Parlant d'emplois, il indique que "473 303 emplois jeunes ont été recensés au 31 décembre 2017", ce qui est mieux que l'objectif des 400 000 emplois qui avait été fixé - même s'il en faut plus pour résorber le chômage chez les jeunes. Il précise que "2018 sera l'année d'achèvement de grands projets de première génération, tels que des barrages hydroélectriques bientôt complétés par des infrastructures de transport de l'énergie", et qu'une série de projets de deuxième génération est en cours.
Un discours en décalage avec le contexte camerounais
Dans cette allocution qui sonne comme un discours de campagne électorale, Paul Biya rappelle à la jeunesse camerounaise que 2018 sera une année électorale à laquelle il invite ceux qui auront au moins 20 ans à prendre massivement part, comme elle sera décisive pour la préparation de la CAN 2019.
Et il poursuit en parlant d'Internet: "Mes chers jeunes compatriotes, de ma position de chef de l'Etat, j'aperçois le signe d'un frémissement qui prouve que vous vous intéressez de plus en plus aux affaires publiques. Les réseaux sociaux vous offrent à cet égard un champ d'expression de prédilection. Chaque fois qu'en un clic, vous empruntez ces autoroutes de la communication qui vous donnent une visibilité planétaire, il vous faut vous souvenir que vous n'êtes pas pour autant dispensés des obligations civiques et morales, tel que le respect de l'autre et des institutions de votre pays. Soyez des internautes patriotes qui œuvrent au développement et au rayonnement du Cameroun, et non des "followers" passifs ou des relais naïfs et pourfendeurs de la République."
Le président Biya dont c'est le 85è anniversaire ce mardi (13 février) dont plus de 35 à la tête du Cameroun, n'a rien dit non plus de son état de santé qui attire beaucoup de curiosités.