Podcast sur l'affaire Martinez Zogo : l'enquête (2/3)
21 janvier 2024Il y a un an, le corps de Martinez Zogo était découvert à Yaoundé, au Cameroun. Torturé. L'instruction judiciaire est toujours en cours pour faire la lumière sur les circonstances exactes de la mort de ce journaliste d'investigation.
Le dossier ne parle pas formellement d'assassinat. Il retient seulement la qualification de torture. Ce que regrettent la famille de Martinez Zogo et son avocat, Me Calvin Job qui résume ainsi la situation : "Ça fait un an. Voici les points qui bloquent : on ne sait pas si Martinez a été assassiné. On sait qu'il a été torturé mais on ne sait pas par qui. On ne sait pas ce qui se passe dans l'instruction."
"Hyper courageux"
"Martinez était d'abord un gars extrêmement intelligent, déclare l'un de ses proche, Aristide Mono. Ce que je retiens de l'homme, c'est sa détermination, c'est sa verve et également son courage. Il était hyper courageux."
Dans le premier épisode de ce podcast QuiQuoiComment consacré à l'affaire Martinez Zogo, nous avons évoqué le rapport d'autopsie qui détaille les sévices subis par Martinez Zogo, des tortures qui ont causé sa mort. C'est le tribunal militaire de Yaoundé qui est chargé de l'instruction.
Le corps toujours sous scellés
Diane Zogo, la veuve de Martinez Zogo, attend de la justice qu'elle établisse les circonstances exactes de la mort de son mari et qu'elle établisse les responsabilités :
"Moi particulièrement, je ne suis pas pressée de procéder aux obsèques. Parce qu'on a des individus qui sont encore gardés, auditionnés. L'enquête suit son cours. Nous en sommes encore au niveau de l'instruction. Tant que l'enquête est pendante au niveau du tribunal, on ne peut pas parler d'obsèques. Il faudra bien trouver des coupables. Que les présumés coupables soient punis et que justice soit rendue pour [Martinez]."
Le point sur la procédure et les implications politiques au plus haut sommet de l'Etat camerounais … C'est ce dont nous parlons dans ce 2è épisode de QuiQuoiComment sur l'affaire Zogo.
Un dossier sensible
La découverte du cadavre de Martinez Zogo a provoqué un émoi bien au-delà des frontières du Cameroun, des défenseurs des droits humains et des associations de défense des journalistes comme Reporters sans frontières.
Arnaud Froger, responsable du desk investigation chez RSF, déclare ainsi : "C'est un dossier extrêmement emblématique pour la justice et les autorités politiques camerounaises dans le sens où il s'agit d'un journaliste tué, que des services de l'Etat, manifestement, ont été impliqués et que de hautes personnalités ont aussi été impliquées. J'en veux pour preuve que parmi les inculpés, on trouve un magnat local, Jean-Pierre Amougou Belinga, et nul autre que le chef des services de renseignement extérieur camerounais, Léopold Maxime Eko Eko."
Face à la pression nationale et internationale, le chef de l'Etat, Paul Biya, a rapidement mis en place une enquête conjointe de la gendarmerie et de la police. Les enquêteurs ont pu procédér à plusieurs interpellations.
Des personnalités placées en détention provisoire
La première personne interpellée dans cette affaire est le lieutenant-colonel Justin Danwe. Directeur des opérations de la DGRE, les services de contre-espionnage, il a reconnu avoir coordonné le commando qui a enlevé et torturé Martinez Zogo.
Justin Danwe a déclaré aux enquêteurs qu'il aurait agi pour le compte de deux personnes : à l'initiative de l'homme d'affaires Jean-Pierre Amougou Belinga et sous les ordres de son supérieur hiérarchique, le patron du contre-espionnage (la DGRE), Léopold Maxime Eko Eko.
L'avocat de ce dernier, Me Seri Simplice Zokou, dément :
"Monsieur Eko Eko n'est pas du tout impliqué dans cette affaire. D'autant moins qu'on a prétendu que Monsieur Danwe avait agi sous les ordres de Monsieur Eko Eko, or celui-ci l'avait écarté de l'exécution de toutes les missions de la DGRE à la suite d'un certain nombre de comportements. Il n'avait plus de rapports hiérarchiques avec Monsieur Eko Eko, donc il n'a pas pu recevoir d'ordres de lui. D'autant moins qu'il n'avait plus accès à lui."
Certaines sources proches du dossier nous ont affirmé que Justin Danwe aurait travaillé, parallèlement à ses activités au sein de la DGRE, et depuis des années, pour Jean-Pierre Amougou Belinga.
Il lui aurait communiqué des informations confidentielles provenant des services de renseignements, des informations utiles aux investissements de l'homme d'affaires mais aussi à l'un de ses proches : le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, concernant par exemple des préparatifs supposés de coup d'Etat contre la République centrafricaine.
Me Jacques Mbuny, avocat de Justin Danwe, se refuse à tout commentaire :
"Nous autres avocats n'avons pas le droit de communiquer sur une information judiciaire qui se tient encore pour dire untel a déclaré ceci ou tel autre a déclaré cela. Moi je ne m'avancerai pas sur ce terrain-là. Pour le bon déroulement de l'instruction, il faut laisser au juge le soin de clôturer et ensuite chacun pourra faire son commentaire relatif à la suite."
La théorie du deuxième commando
L'avocat de la famille Zogo qualifie de "contre-feu" la théorie du 2è commando qui circule depuis quelques semaines. Certains affirment en effet que l'équipe dirigée par Justin Danwe aurait supplicié Martinez Zogo sans le tuer et qu'un deuxième groupe se serait chargé de "terminer le travail".
Selon l'avocat de la famille, cette thèse n'est pour l'instant étayée par aucune preuve formelle. Selon lui, la violence du commando dirigé par Justin Danwe a suffi à tuer Martinez Zogo.
De nombreux rebondissements
Dans ce 2è épisode consacré à l'instruction en cours, nous revenons sur les accusations et contre-accusations, les principaux suspects, sur la valse des juges - deux ont déjà été dessaisis du dossier - et, donc, les avancées de l'enquête.