Pour son tout premier discours au Bundestag, Armand Zorn semble étonnamment détendu. Il doit parler de politique fiscale, un sujet qu'il connaît sur le bout des doigts.
"J'étais un peu nerveux quand même, mais j'aime ça. Quand il y a de la tension, on se rend compte à quel point ce qui se passe est important", confie le jeune député après son intervention du 6 avril.
Personne ne s'est rendu compte de la nervosité de celui qui a rejoint le Bundestag en septembre pour le parti social-démocrate. Lors de son premier discours, il est apparu sûr de lui, bien informé, se permettant même quelques piques à l'endroit des députés du parti d'extrême droite AfD.
Armand Zorn veut donner des perspectives aux pays d'Afrique
Armand Zorn a pourtant une biographie différente de la plupart des autres députés du Bundestag. Né au Cameroun, il est arrivé à Halle, en Allemagne, à 12 ans. Il a ensuite vécu à Paris, Bologne, Hongkong et Oxford. Le consultant en entreprise aujourd'hui âgé de 33 ans parle trois langues couramment.
Depuis 2015, Armand Zorn vit à Francfort, il s'est engagé en 2009 en politique et a rejoint le SPD deux ans plus tard. En 2021, il réussit son entrée au Bundestag. Son cheval de bataille, c'est la justice sociale. Et cela ne vient pas de nulle part.
"J'ai tiré de nombreuses expériences de mon histoire personnelle où j'ai rencontré de nombreux jeunes gens qui travaillaient dur, qui étaient compétents, mais qui n'ont jamais obtenu le succès qu'ils méritaient. Cela ne m'a jamais laissé en paix".
Armand Zorn est membre de la puissante commission des finances et de celle du numérique. C'est là qu'il voit ses forces et ses compétences, tout en restant attaché à son continent d'origine.
"Dans le domaine des finances, par exemple, il y a beaucoup de sujets liés à la stabilité financière mondiale. Il s'agit du taux d'endettement de tel ou tel pays d'Afrique, ou encore de mettre à disposition des fonds pour permettre une perspective et un développement économique dans certains pays africains".
Awet Tesfaiesus s'engage pour le retour des objets spoliés
Son baptème du feu à la tribune du Bundestag, Awet Tesfaiesus l'a fait en mars, un mois plus tôt qu'Armand Zorn. Elle a rejoint elle aussi le Bundestag aux dernières élections en tant que première femme noire élue dans cette institution. La députée écologiste ne s'est toujours pas vraiment habituée à son nouveau statut.
"C'est un monde complètement différent. On est écouté. On arrive en tant que député, les gens cherchent le dialogue et sont ouverts. Quand on est une femme noire et qu'on a été habituée à être observée d'un œil critique dans les magasins au cas où on volerait quelque chose, et qu'on se retrouve tout en haut dans la hiérarchie, c'est un sacré changement."
Awet Tesfaiesus est née en 1974 à Asmara, aujourd'hui capitale de l'Erythrée. A l'époque, le pays est occupé par l'Ethiopie. Dans cette dictature militaire, ses parents sont engagés en politique. La famille doit fuir le pays pour l'Allemagne lorsqu'Awet a 10 ans. Le premier hébergement est un centre de réfugiés à Kassel, où vivent de nombreuses familles érythréennes.
"Pour mes parents, c'était sûrement plus difficile. Moi, je trouvais ça bien. On vivait dans un petit espace, avec de nombreux enfants érythréens. On était à six dans une chambre avec toute la famille. Mais quand on est enfant, on ne fait pas attention à ces choses, on se réjouit d'être avec autant de gens formidables."
Son expérience de réfugiée, Awet Tesfaiesus s'en est souvenue lorsqu'il a été question de choisir sa voie. Elle étudie le droit et ouvre un cabinet d'avocats spécialisé dans le droit d'asile pour aider d'autres personnes réfugiées en Allemagne.
Mais elle se heurte rapidement à un problème: de nombreux demandeurs d'asile n'obtiennent pas de droit de séjour en Allemagne en raison du règlement de Dublin, selon lequel les réfugiés doivent déposer leur demande dans le pays par lequel ils sont entrés en Union européenne. Pour les clients d'Awet Tesfaiesus, c'est généralement l'Italie ou l'Espagne.
"En Italie, ces personnes vivaient dans la rue, ils étaient peut-être reconnus comme demandeurs d'asile mais n'avaient droit à aucune allocation sociale, aucun cours de langue, rien. C'était frustrant de se heurter à ce système, et j'avais l'impression qu'il fallait changer les choses au niveau politique."
Engagée chez les Verts depuis 2009, Awet Tefsaiesus a été conseillère municipale à Kassel pendant cinq ans. Depuis octobre, elle est donc au Bundestag et représente son parti dans la commission des affaires culturelles. Avec un objectif ambitieux : organiser le retour dans leurs pays d'origine des objets spoliés lors de la colonisation.
"Quand je vais dans les musées allemands et vois des biens culturels de ma région d'origine, j'ai mal au cœur. Ici les objets sont admirés mais ils ne signifient rien pour les gens. Pour ceux des pays d'origine, ils représentent au contraire beaucoup car c'est leur identité qui a été volée."
Karamba Diaby, un vétéran de la politique engagé pour la diversité
A côté des deux jeunes députés, Karamba Diaby fait office de vieux routier au Bundestag. On vous a déjà parlé de lui dans Vu d'Allemagne, à plusieurs reprises. D'origine sénégalaise, il est député social-démocrate depuis 2013. A l'époque, le New York Times avait d'ailleurs publié un article sur le premier député allemand ayant des racines en Afrique.
"En 2013, tout était nouveau pour moi. J'ai eu besoin de temps pour me familiariser avec mes thèmes, mais de l'extérieur, beaucoup pensaient que j'étais un expert de l'Afrique ou du racisme et n'ont pas voulu voir que j'étais spécialisé en politique d'éducation et de recherche."
Aujourd'hui, Karamba Diaby est reconnu au Bundestag et siège à la commission des affaires étrangères et à la commission du développement. Il se sent chez lui à Halle, la ville où il vit depuis 1986 et a fondé une famille.
Malgré cela, Karamba Diaby doit toujours faire face à de nombreuses attaques racistes, dans sa ville et sur les réseaux sociaux. Pour quelqu'un qui est exposé à autant de haine et d'agitation, le député est remarquablement calme. Il essaie toujours d'éviter les jugements à l'emporte-pièce et une rhétorique de combat.
"Quand quelque chose d'insultant ou d'humiliant a été posté et que j'ai pris position contre cela, j'ai reçu des lettres de gens qui ont exprimé leur solidarité ou des classes d'école qui ont récolté des signatures. C'est ça qui me renforce".
Même si le Bundestag est aujourd'hui plus diversifié qu'en 2013, Karamba Diaby continue de se battre pour la diversité, et pas seulement celle de l'origine géographique. Il plaide pour un parlement plus ouvert aux non diplômés, aux habitants des campagnes, aux personnes handicapées, afin de refléter la diversité des perspectives des citoyens allemands.
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Des décennies après, mères et enfants victimes d'adoptions forcées se cherchent encore au Chili
Au Chili, plus de 20 000 enfants ont été adoptés illégalement entre les années 1950 et 90, avec un pic enregistré pendant la dictature de Pinochet dans les années 70-80.
Les parents adoptifs venaient d’Amérique du nord ou d’Europe : France, Suède, Norvège, Belgique ou encore Italie... Au total 25 pays sont concernés.
Depuis plusieurs années, des mères biologiques chiliennes tentent de retrouver la trace de leurs enfants disparus. C'est le cas de Cécilia, qui a accouché prématurément d'un petit garçon en 1975, à l'âge de 17 ans.
Son bébé a été emmené, officiellement pour des examens, mais ensuite on lui a dit qu'il était mort. Elle n'a jamais reçu d'acte de naissance ni de décès de son enfant. Aujourd'hui, elle a fait un test ADN pour tenter de retrouver son fils.
La suite dans le reportage à Santiago du Chili de notre correspondante Naïla Derroisné.