Des soldats de la Monusco arrêtés pour exploitation sexuelle
12 octobre 2023La Monusco annonce avoir pris des "mesures fortes" à l'encontre de plusieurs Casques bleus déployés à Beni, dans le Nord-Kivu, province de l'est de la République démocratique du Congo. Huit soldats de l'Onu ont été arrêtés début octobre et un officier suspendu. Ils sont soupçonnés de violences et d'exploitation sexuelle.
Tous ces soldats soupçonnés appartiennent au contingent sud-africain de la Monusco.
Ils auraient fréquenté des maisons closes, qui portent d'ailleurs des noms de villes sud-africaines, alors que la prostitution est interdite en RDC. L'officier visé par les sanctions aurait tenté d'intimider et de menacer des membres des Nations unies, suite à l'arrestation des Casques bleus.
On leur reproche aussi une tentative de fuite, des violences et une course poursuite avec la police militaire de l'Onu.
Des sanctions contre les Casques bleus
Au-delà de la condamnation officielle de ces comportements par la Monusco, des mesures dites "conservatoires" ont été prises à leur encontre, au nom d'une politique de "tolérance zéro" : les Casques bleus concernés ont été suspendus, placés en détention et confinés, en attendant les conclusions de l'enquête qui a été ouverte par le bureau des services de contrôle interne de la mission.
Ce sont des rapports internes qui ont révélé ces comportements en "violation systématique et généralisée" des règles de l'Onu contre l'exploitation et les abus sexuels.
La Monusco avait mis en place un monitoring dans toutes ses zones de déploiement pour vérifier, justement, le respect de son code de conduite par le personnel onusien.
Annie Matundu Mbambi, la représentante régionale Afrique de le Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF) rappelle ainsi qu'à l'époque où Ban Ki-moon était secrétaire général de l'Onu, ce code de conduite avait été introduit pour lutter contre les violences sexuelles qui impliquent les Casques, "pour les prévenir, les sanctionner et les réparer".
Chaque soldat de la paix se doit ainsi de respecter à la lettre dix règles fixées pour garantir que leur comportement correspond aux standards des Nations unies. "Malgré cela, jusqu'à aujourd'hui, ces abus continuent", déplore Annie Matundu Mbambi.
Instruire les Casques bleus en RDC
La nouvelle a ému et déçu la population congolaise. Ephrem Zihalirwa, conseiller genre au Réseau d'associations pour la promotion des droits de la femme (RAPDFEM ASBL) dans le Nord-Kivu, regrette que "ceux qui ont l'obligation de protéger ne protègent pas".
Le défenseur des droits humains estime que ce scandale soulève de nombreuses questions : "Est-ce que ce sont les dispositifs disciplinaires qui ne sont pas rigoureux ? Est-ce que les Casques bleus ne sont pas relevés assez souvent pour répondre à leurs besoins physiologiques ? Il serait important que les Casques bleus, quand ils quittent leur pays pour aller en RDC ou d'autres missions à travers le monde, soient efficacement instruits. Et je crois qu'au niveau de leur commandement aussi en interne, c'est un problème s'ils ne leur rappellent pas ce qu'ils doivent faire. C'est comme s'ils étaient à une fête au lieu d'être au travail."
Les scandales sexuels à répétition
Ce n'est pas la première fois que des membres de la Monusco sont impliqués dans des scandales sexuels. Du temps de la Monuc, la mission qui a précédé la Monusco, déjà, la mission onusienne avait été entachée d'affaires de ce genre impliquant du personnel de différentes nationalités. D'autres scandales comparables ont d'ailleurs éclaté aussi au sein d'autres missions de l'Onu, comme la Minusca, en RCA.
En 2011, 2016, 2018, plusieurs scandales ont visé du personnel de la Monusco, dans différentes régions, pour des violences et abus sexuels, ou parce qu'ils avaient eu recours à des actes sexuels tarifés, parfois avec des mineures.
Le "sexe de survie"
Si ces actes se répètent, c'est aussi que de nombreuses femmes du Nord-Kivu n'ont plus accès à leurs champs à cause des violences et que certaines sont contraintes de recourir au "sexe de survie".
"L'étranger qui arrive a un peu de moyens, il a des possibilités, analyse Ephrem Zihalirwa. Le rapport de force n'est pas le même quand on est un expatrié qui s'approche d'une Congolaise. Les guerres qui ont cours sont des guerres qui dépouillent les citoyennes et les citoyens."
Annie Matundu Mbambi confirme que la prostitution n'est souvent "pas une activité choisie" par la plupart des Congolaises qui se vendent aux soldats. "Elle est la conséquence de la pauvreté et d'autres facteurs socio-économiques". D'où l'importance, selon elle, de lutter contre les raisons profondes de ce fléau pour rendre eux femmes leur diginité, c'est-à-dire aider les victimes, bien sûr, mais aussi rétablir la paix.
François Paluku Kaputhu, chargé des projets de Caritas dans le diocèse de Butembo-Beni, rappelle par ailleurs que, même si c'est dans une moindre mesure, des hommes aussi sont victimes de violences et abus sexuels dans cette zone de conflit. Ces actes sont perpétrés par les différents acteurs armés, comme ailleurs dans le pays : en Ituri, dans le Maniéma ces dernières années.
Lui aussi estime que pour aider les victimes, il faut leur proposer des programmes en plusieurs volets.
D'abord, les faire se rencontrer, pour briser la solitude et la honte. Au-delà des soins de leur corps meurtri, des groupes de thérapie sont proposés, mais aussi un appui pour faciliter leur réinsertion sociale et professionnelle.
"Certaines de ces victimes ont moins de 18 ans et avec notre aide à la réinsertion, elles arrivent à reprendre le chemin de l'école. Ça redonne aussi de l'espoir à leurs familles qui n'ont plus accès à leurs champs et qui retrouvent de la joie quand elles voient leurs filles reprendre le chemin de l'école", explique François Paluku Kaputhu.
Mais pour que ce travail de longue haleine porte ses fruits, il doit être aussi corrélé à une sensibilisation de tous les membres de la communauté, y compris les hommes… et au financement des projets assuré sur le long terme, ce qui n'est toujours pas le cas actuellement.