RDC : l'Union Sacrée bute sur son candidat au perchoir
23 avril 2024En République démocratique du Congo, les députés de l'Union sacrée, c'est-à-dire de la majorité au pouvoir, organisaient ce mardi (23.04) une primaire en interne. Ils étaient appelés à choisir, entre trois noms, celui de leur candidat à la présidence de l'Assemblée nationale. Les trois hommes candidats à la candidature sont : Christophe Mboso, le président sortant de l'Assemblée, Modeste Bahati, qui est le président sortant du Sénat, et Vital Kamerhe, vice-Premier ministre et ministre de l'Economie dans le gouvernement sortant.
Initiateur du Politoscope, une plateforme de prévention de la violence verbale en politique, et coordonnateur de la Dynamique des Politologues (Dypol) de la République démocratique du Congo, Christian Moleka analyse pour nous ce que cette primaire dévoile de la majorité parlementaire et de l'attitude du président Félix Tshisekedi.
Ecoutez ci-contre l'entretien avec Christian Moleka.
DW : Christian Moleka, l'Union sacrée, la majorité parlementaire en RDC, organise des primaires pour désigner un candidat à la présidence de l'Assemblée nationale issu de ses rangs. Il y a trois noms, trois personnes entre qui les élus devaient choisir : tout d'abord Vital Kamerhe, vice-Premier ministre, ministre de l'Economie du gouvernement sortant, Christophe Mboso, qui est le président sortant de l'Assemblée nationale, et Modeste Bahati, le président sortant du Sénat. Qu'est-ce qui différencie ces trois personnages ?
Ce qui différencie, c'est que Vital Kamerhe, particulièrement, a été l'allié du président [Tshisekedi] depuis 2018. Il appartient à ce qu'on a appelé le courant Cach, Cap pour le changement, l'attelage qui a mené le président [Félix Tshisekedi] au pouvoir en 2018, alors que les deux autres étaient dans un premier temps dans le FCC [le Front commun pour le Congo, derrière Joseph Kabila, ndlr]. Ce sont de nouveaux alliés qui ont rejoint le président durant son second mandat, à l'occasion notamment de la mise en place de l'Union sacrée. Ce qu'ils ont en commun, c'est qu'ils sont tous trois membres de la plateforme de l'Union sacrée.
DW : Et comment se fait-il qu'ils n'aient pas réussi à se mettre d'accord sans avoir à organiser ce vote ?
C'est ça, la grande équation. C'est que vous avez, au sein de l'Union sacrée, trois acteurs qui ont les mêmes ambitions pour un même poste. L'Union sacrée s'est construite autour d'une dynamique qui a éclaté, qui a encouragé une transhumance d'acteurs. Ce qui fait qu'aujourd'hui, c'est la plateforme la plus grande, éléphantesque, qui compte énormément d'acteurs qui ont pour point commun le fait de soutenir le président [Tshisekedi] sans grande cohérence idéologique et avec des ambitions très, très différentes. Et comme on n'a pas pu régler les problèmes au niveau du présidium, cette question a été ramenée pour que les élus la tranchent.
Mais il y a également une autre lecture à faire, c'est qu'en les opposant, le président [Tshisekedi] garde la posture d'être le dernier arbitre face à des velléités des acteurs qui peuvent déjà se positionner par rapport à 2028 [date de la prochaine élection présidentielle en RDC, ndlr].
Il y a l'ombre de 2028 qui se profile également par le fait qu'on peut occuper, en étant à la tête l'Assemblée, une position de speaker qui vous donne une visibilité, un rayonnement.
Et puis il y a le fait également que le président ne veut pas porter la responsabilité d'une frustration politique. On sait que, notamment pour le Sud-Kivu, entre Bahati et Kamerhe, ça va créer de la frustration, ça va diviser. Et en laissant les élus décider ça, ça permet au président de dire : "Je ne suis pas responsable du choix des acteurs et je ne suis pas à l'origine de la frustration".
DW : Politiquement, pour les Congolais, qu'est-ce que ça change que ce soit l'un ou l'autre qui accède à ces fonctions ?
Ça peut changer quelque chose, parce qu'on a trois profils très différents. Vous avez un Kamerhe qui a été à la tête de l'Assemblée, dont on connaît la capacité à manœuvrer l'Assemblée et qui, déjà à l'époque avait donné un peu plus de place au débat parlementaire.
On a vu un Mboso qui a dirigé pendant cinq ans avec un Parlement qui n'a pas été capable de bousculer exécutif. Ce sont des styles très différents. Si on a un Mboso à l'Assemblée, on peut attendre une continuité de ce qu'a été le Parlement durant la première législature, à savoir un Parlement moins intrusif dans l'action gouvernementale. Peut-être que Kamerhe, on le verrait à un autre degré.
Et puis, en termes d'ambition personnelle, vous avez un Mboso qui a plus de 80 ans, donc qui n'a peut-être pas de projections pour 2028, et deux autres acteurs qui ont la capacité de se projeter sur 2028, qui est une date très importante, parce qu'on aura un président qui en sera à son dernier mandat constitutionnel, et occuper cette position [de président de l'Assemblée], pour eux, peut être un présentoir pour des ambitions à venir.
DW : Mais quel contact les citoyens ont -ils avec le président de l'Assemblée ? Est-ce que c'est vraiment un personnage public?
Oui, parce que, dans la structure politique, au Congo, le présent de l'Assemblée est la deuxième institution du pays et il jouit d'une très grande visibilité. Attendu également que nous sommes dans un régime semi-présidentiel, où le Parlement joue un rôle important, à la fois dans le vote du gouvernement, de son budget, également dans le contrôle de l'action gouvernementale, celui qui tient le Parlement a une position de visibilité assez grande et on a vu par le passé des personnalités fortes prendre la conduite du Parlement.
C'est une position qui vous met en lumière, à côté d'un président qui est déjà hyperactif et qui, quelquefois, phagocyte l'action du gouvernement.
DW : Est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer aussi, dans un avenir proche, un président de l'Assemblée qui soit un petit peu plus jeune et qui reflète peut-être davantage la réalité de la population congolaise ?
C'est le souhait des gens d'avoir un nouveau visage à la tête de l'Assemblée parce que tous les trois ont déjà gouverné dans le passé,. On aurait pu souhaiter avoir un nouveau profil.
Malheureusement, l'UDPS, qui est la première force au Parlement, n'a pas élu le candidat à la tête du bureau. Peut-être pour les autres fonctions du bureau ? Parce que cette primaire ne concerne que le poste de président [de l'Assemblée], il restera à élire les autres membres du bureau. Peut-être qu'on pourra alors voir de nouveaux profils s'imposer.
DW : Est-ce que cette primaire, ce n'est pas de l'argent dépensé qui aurait pu être alloué à autre chose ?
Et surtout du temps perdu, parce que nous sommes déjà pratiquement quatre mois après les élections.
On a besoin d'un gouvernement qui s'installe rapidement et donc, on aurait pu nous épargner toute ces tensions. On sait que ça va créer des lignes de fracture. C'est du temps perdu. On aurait pu avoir un arbitrage au niveau de l'Union sacrée pour permettre au pays d'avancer plus rapidement. Parce que ce temps qu'on met pour avoir la primaire, en attendant, le calendrier définitif est mis dans le frigo parce qu'il faut aboutir à un ticket pour aller vers les élections.
Donc, on perd du temps, on perd en argent, on renforce les frustrations et par de là tout, c'est l'UDPS qui est la première force au Parlement. Officiellement, elle a 70 députés. Mais si vous prenez tous les partis mosaïques qui tournent autour, ils sont plus de 100. Donc en principe, c'est l'UDPS qui décidera. Ça veut dire que ça revient au président de choisir. On aurait pu épargner au pays tout le temps qu'on perd inutilement et aller rapidement à la formation du gouvernement.