Félix Tshisekedi en Chine pour renégocier le partenariat
24 mai 2023Félix Tshisekedi se rend en Chine jusqu'au 28 mai. Cette visite du président congolais aura pour principal objectif la coopération économique. Le chef de l'Etat espère y renégocier les termes d'une convention passée il y a quinze ans entre les deux pays. Car cet accord, présenté à l'époque comme "le contrat du siècle", profite d'abord à la Chine, au détriment de la RDC.
Il s'agit de la première visite de Félix Tshisekedi en Chine depuis le début de son mandat. Elle vise à redéfinir les bases du partenariat entre la RDC et le géant asiatique.
L'un des piliers de la coopération entre les deux pays est une convention, signée en 2008, sous la présidence de Joseph Kabila.
Du contrat solution aux problèmes du Congo...
Le "contrat chinois" prévoit des investissements massifs de la Chine en RDC – notamment dans les infrastructures routières et ferroviaires, ou encore la construction d'une trentaine d'hôpitaux – en échange d'un accès privilégié aux ressources minières congolaises, particulièrement les mines de cuivre et de cobalt.
Il aboutit notamment à la création d'une joint-venture sino-congolaise : la Sicomines (qui regroupe la Gecamines de RDC et le GEC, groupement d'entreprises chinoises).
A l'époque, cet accord est présenté comme un partenariat "gagnant-gagnant" qui suscite "beaucoup d'espoir", selon le professeur Germain Ngoie Tshibambe, du département des relations internationales de l'Université de Lubumbashi.
... à la déception
Quinze années plus tard, le chercheur déplore "le triomphe de la désillusion" face à "l'omniprésence de la Chine dans la vie économique" congolaise. "Cette forte présence de la Chine dans la vie économique de la RDC se manifeste par l'omnipotence des investissements de la Chine, explique Germain Ngoie Tshibambe. 80% du cuivre et cobalt exportés par la RDC va en Chine. (…) Non seulement les Chinois ont investi dans le secteur minier industriel mais aussi le secteur minier artisanal".
L'universitaire détaille les domaines de l'économie congolaise dans lesquels la Chine est particulièrement représentée : "La Chine est présente dans le secteur minier mais elle devient de plus en plus présente aussi dans le secteur des travaux publics. Elle est omniprésente aussi dans le secteur des routes, des infrastructures routières. Il y a un projet remporté par la Chine qui prévoit la construction de plus de 1.000 kilomètres de routes par la Chine dans l'est de la RDC. Et un autre secteur est celui de l'électricité."
Dans ce dernier secteur, de l'électricité, les projets de centrale à Busanga et le barrage du mégaprojet de barrage Inga sont au coeur de l'intérêt des investisseurs chinois.
Un marché de dupes ?
En février dernier, l'Inspection générale des finances (IGF) congolaises publie un audit qui fait grand bruit. Le document évoque des surfacturations dans les travaux réalisés en RDC, mais il constate surtout que la Chine a tenu moins de 50% de ses engagements alors qu'elle a engrangé dix milliards de dollars depuis la signature du contrat, dont un milliard rien qu'en intérêts versés aux banques chinoises pour leurs prêts. La RDC n'aurait, elle, retiré qu'un peu plus de 880 millions de dollars de bénéfices.
Un "fiasco" tel pour la RDC que l'Inspection générale des finances réclame 20 milliards de dollars de dédommagement au Groupement d'entreprises chinoises. Le chef de l'IGF, Jules Alingete Key, dénonce une "colonisation économique" de la Chine.
Mireille Manga, maîtresse de conférences en Sciences politiques, à l'Institut des relations internationales du Cameroun, réfute ce terme, même si elle salue le réexamen des clauses du "contrat chinois" : "Après 15 années de coopération à travers ce contrat, d'interactions multiples, on s'arrête pour faire le bilan. Les résultats observés sur le terrain ne correspondent pas aux attentes de départ et donc il est normal, en tant que partenaires et Etats souverains, qu'une partie ou l'autre décide de questionner les accords et de les renégocier. C'est un processus normal de la vie politique internationale."
Mireille Manga, qui a coordonné un ouvrage paru aux Editions Palgrave Macmillan, en octobre 2022, sur "Les nouvelles routes de la soie chinoises et les nouvelles formes de nationalismes", poursuit : "L'Inspection générale des finances de RDC a voulu mettre en avant le déséquilibre de cette coopération et le besoin de renégocier le partenariat. Mais il ne s'agit en rien d'une colonisation car il s'agit de deux acteurs conscients et très lucides par rapport à leurs intérêts."
Les autorités chinoises n'ont pas apprécié la nouvelle attitude des autorités congolaises mais elles ont promis le décaissement de 500 millions de dollars d'investissement.
Soit bien moins que les trois milliards dont espérait bénéficier la RDC en infrastructures.
Enquêtes et investigation
Le procureur de Kinshasa-Gombe a ouvert en mars une enquête sur certains dysfonctionnements du partenariat avec la Chine.
Plusieurs structures travaillent depuis plusieurs années à mettre en lumière les irrégularités des contrats passés sous la présidence Kabila dans plusieurs domaines : l'Itie (l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives), le ministère congolais des Mines et infrastructures, mais aussi des ONG, des organisations de la société civile ou encore des journalistes d'investigation.
Germain Ngoie Tshibambe ne parle pas non plus d' "impérialisme" chinois mais bien de déception dans les espoirs placés par les Congolais dans la relation avec la Chine : "On a cru engranger beaucoup de dividendes et on constate finalement qu'il s'agit d'un marché de dupes pour la RDC. La Chine, elle, exploite les ressources minières. Certains minerais sont expédiés bruts vers la Chine, sans contrôle, sans aucune société de surveillance, les minerais partent vers les usines en Chine."
Emmanuel Musuyu, le secrétaire exécutif la Coalition des organisations de la société civile pour le suivi des réformes et de l'action publique (Corap), estime qu'il est essentiel que les autorités congolaises ne recommettent pas, pour la signature de nouveaux contrats, les mêmes erreurs que pour le "contrat chinois".
"Malheureusement, tout est focalisé au niveau de la présidence, déplore Emmanuel Musuyu. Le risque est très élevé d'oublier les techniciens au niveau des ministères spécialisés, de la société civile. Du coup, on peut renégocier aujourd'hui et retomber dans les mêmes [travers] dans les jours à venir, c'est notre crainte. Nous appelons donc le chef de l'Etat à veiller à ce que ce soient des experts qui maîtrisent ce qui se passe sur le terrain qui négocient, mais pas une commission avec des conseillers qui ne pourront pas aider à ce que les choses se passent bien."
Mieux défendre les intérêts de la population congolaise
Emmanuel Musuyu estime que la RDC est en position de force pour négocier des contrats dont la Chine a besoin, mais, selon lui, il existe un "risque qu'il y ait des gens qui soient là pour garantir leurs intérêts". Alors le secrétaire exécutif de la Corap appelle à replacer la population congolaise au cœur des négociations. :
"Il y a même des ouvriers qui viennent de Chine pour venir exécuter des projets en RDC. Très peu de gens ont accès au marché de l'emploi. Plusieurs rapports ont montré qu'ils sont très mal payés. Sur Sicomines et sur le projet [de la centrale hydroélectrique] de Busanga ou autre, un journalier pouvait toucher 6.000 francs congolais, ce qui ne représentait pas trois dollars. C'est un sous-paiement, c'est une exploitation de l'Homme. Cette fois, il faut privilégier l'accès des Congolais aux ressources, à l'emploi, et garantir que ces emplois soient créés de façon raisonnable, en respectant les droits des populations."
Du point de vue de Germain Ngoie Tshibambe, d'autres alternatives que la Chine se présentent à la RDC pour diversifier ses partenariats, comme la Turquie, le Japon ou d'autres pays africains et asiatiques. Le chercheur préconise aussi une ouverture sur la coopération au sein du "sud global", avec des pays d'Amérique latine.