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"Moscou emploie en Ukraine les mêmes méthodes qu'en Syrie"

7 avril 2022

Des écoutes du renseignement allemand montrent que les soldats russes avaient prévu des attaques de civils à Boutcha.

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Une fosse commune et des cadavres jonchant les rues, le 6 avril 2022, à Boutcha
Une fosse commune et des cadavres jonchant les rues, le 6 avril 2022, à BoutchaImage : Narciso Contreras/AA/picture alliance

D'après des informations de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, le BND, c'est-à-dire les services de renseignement allemands, a pu intercepter des communications radio de soldats russes en Ukraine. Dans ces échanges, les soldats font état de violences contre des civils.

Certaines de leurs conversations correspondent à des photos de cadavres prises dans la ville de Boutcha, où des centaines de corps de civils ont été découverts.

Ces informations tendent à confirmer ce que dénoncent des ONG de défense des droits humains : l'armée russe se rendrait coupable de crimes assimilés à des crimes de guerre en Ukraine et terroriser les civils ferait partie de sa stratégie militaire.

>>> Lire aussi : L'armée russe de nouveau accusée de crimes de guerre

Les Nations unies ont décidé ce jeudi (07.04) de suspendre la Russiedu Conseil des droits de l'homme de l'Onu.

En Allemagne, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger et Gerhart Baum, deux anciens ministres allemands, ont déposé une plainte auprès du Parquet fédéral. Ils réclament l'ouverture d'une enquête pour crimes de guerre contre des responsables russes, des crimes commis depuis le début de la guerre en Ukraine. Cette plainte vise Vladimir Poutine, 32 membres du haut conseil militaire russe, ainsi que plusieurs membres de l'armée.

>>> Lire aussi : Le massacre de Moura fait écho aux crimes de l’armée russe en Ukraine

Fabrice Balanche, maître de conférences en géographie politique à l'université Lyon 2, en France, voit des parallèles entre ce qui se passe en Ukraine et les méthodes de la Russie ces dernières années en Syrie.

Interview avec Fabrice Balanche

Ecoutez ou lisez notre entretien avec Fabrice Balanche

Fabrice Balanche : De 2011 à 2015, l'armée russe n'était pas présente en Syrie. En revanche, on a vu Vladimir Poutine avoir une activité diplomatique intense pendant toute cette période. Il a testé la réaction des Occidentaux. Il a utilisé la propagande aussi. Ou a menti effrontément en disant qu'il n'y avait plus d'attaque chimique, comme ce qu'on voit en Ukraine, qu'il n'y a pas eu de massacre etc… Pendant une dizaine d'années, il a vraiment testé la réaction des Occidentaux, ce qui lui a permis de nous endormir jusqu'à présent.

>>> Lire aussi : Pourquoi Poutine est-il si populaire chez certains Africains ?

Ensuite, l'armée russe est arrivée en Syrie en septembre 2015. Et là, on a vu une stratégie de la part de Vladimir Poutine assez semblable à ce qu'on a pu voir en Ukraine. C'est à dire que d'abord, il s'est concentré sur les villes. Il les a vidées des rebelles, afin de montrer sa force pour faire ensuite capituler les rebelles dans d'autres zones et surtout, les villes sont des centres névralgiques et des centres stratégiques. C'est là qu'est la logistique, c'est là qu'est la richesse qui est concentrée. Ce sont des nœuds de communication. Et donc, en Ukraine, on a vu tout de suite qu'ils se sont attaqués à Kiev, à Kharkov, à Marioupol, demain à Odessa... quitte à ne pas vraiment s'occuper de la campagne.

Ensuite, en Syrie, les Russes ont vraiment utilisé une campagne de terreur qui consistait à séparer les rebelles des populations civiles. Les rebelles se cachaient dans la population civile et donc, par les bombardements à l'aveugle, [les Russes] ont fait en sorte que les civils se sauvent et ceux qui restaient étaient considérés comme rebelles et donc ils se sont mis à les éliminer directement. Dans la stratégie de Poutine de chasser un maximum de civils, on a cette raison qui est de séparer l'armée ukrainienne des civils pour pouvoir les vaincre plus facilement.

Vladimir Poutine aurait "rôdé" sa stratégie en Syrie
Vladimir Poutine aurait "rôdé" sa stratégie en SyrieImage : Mikhail Klimentyev/Kremlin/SputnikREUTERS

In fine, ce qui s'est passé en Syrie ou on a vu huit millions de personnes quitter le pays, c'est une stratégie délibérée de la part des Russes et de la part du régime syrien d'éliminer du pays la population qui pourrait soutenir l'insurrection pour ne conserver que les gens qui sont loyaux ou alors neutres, timorés, qui ne vont pas entrer en résistance.

En Ukraine, on a déjà plus de quatre millions de personnes qui sont parties. Poutine veut vider l'Ukraine de ses forces vives. Je pense qu'il peut arriver à faire partir au moins jusqu'à dix millions de personnes, c'est à dire un quart de la population ukrainienne, notamment les jeunes, les familles. Ce qui fait que les hommes qui sont au front vont se retrouver séparés de leurs familles. Ça va être psychologiquement très dur et ça va limiter évidemment leur capacité de résistance. L'objectif, il est là : il y a aussi l'occupation du terrain en éliminant la population.

DW : Donc ces informations qu'auraient recueillies les services de renseignement allemands qui font état de communications radio en Ukraine entre des soldats russes et éventuellement des supplétifs aussi d'entreprises privées comme le groupe Wagner, des échanges dans lesquels les soldats prévoient des attaques, des violences délibérées contre des civils, c'est quelque chose qui ne vous étonnerait pas ?

Non, ça ne m'étonne pas. Ça fait partie de la stratégie russe. Les massacres qu'on a vus à Boutcha sont destinés à faire jurisprudence pour éviter une révolte des manifestations des populations civiles. Ils partent du principe que la population civile va finir par suivre celui qui fait le plus peur : on suit celui qui fait le plus peur, on ne suit pas celui qui a la plus juste cause. Il faut faire peur pour démobiliser les gens, pour qu'ils vous soutiennent, ou alors ils s'en vont.

Des civils syriens dans Alep bombardée (en 2016)
Des civils syriens dans Alep bombardéeImage : Ameer Alhalbi/Getty Images/AFP

DW : La Russie vient d'être suspendue du Conseil des Nations unies pour les droits de l'homme. Est-ce que vous pensez que c'est quelque chose qui peut avoir un impact sur un régime comme celui de Vladimir Poutine ?

Oh non, je pense que ça, il s'en moque complètement. De toute façon, ce Conseil des droits de l'Homme, il a été présidé par des pays comme l'Arabie Saoudite. Donc on n'y accorde pas beaucoup d'importance au sein de l'Onu.

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DW : Mais est-ce que ce n'est pas étonnant que, malgré cela, la Russie démente les attaques, les violences délibérées contre les civils ? On pourrait dire aussi que c'est une stratégie qu'ils peuvent assumer si, de toute façon, ils ne se sentent pas liés par des engagements internationaux ?

La Russie ment. Ils mentent en permanence, ils nient. Ils jouent sur la théorie du complot. On les a vu faire en Syrie à propos des attaques chimiques qu'ils ont toujours niées, même si les preuves étaient là. "Plus vous mentez, plus c'est gros, plus vous le répétez, plus ça passe", comme disait Goebbels. Donc Poutine et les Russes adoptent le même type de propagande qu'on avait vue même à l'époque de l'Union soviétique. Ensuite, au niveau international, la Russie tout de même est membre du Conseil de sécurité de l'Onu. Ils veulent apparaître comme une puissance médiatrice dans le monde. Donc ils ont quand même besoin des institutions onusiennes, en tout cas du Conseil de sécurité, et donc ils ont besoin de la validité de l'Onu pour régler des crises, comme en Syrie par exemple.