Londres et Kigali concluent un accord migratoire controversé
14 avril 20226.000 kilomètres séparent le Royaume-Uni du Rwanda. 6.000 kilomètres qui s'ajouteront à ceux déjà parcourus par les étrangers entrés illégalement sur le territoire britannique. Qu'ils viennent d'Iran, de Syrie, d'Afghanistan ou d'Érythrée, peu importe, Kigali ne craint pas d'être dépassé et est prêt à les accueillir - tous. Alain Bernard Mukularinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais :
"Dès qu'ils arrivent au Rwanda, il faut d'abord savoir si on leur accorde un statut de réfugié ou un statut de migrant. Si tu as le statut de réfugié, si tu as le statut de migrant, tu devras vivre au Rwanda et t'intégrer à la population. Celui qui ne voudra pas rester ici, il lui sera donné de l'aide pour retourner dans son pays d'origine. Le Rwanda a une expérience en matière de réfugiés. Ces vingt dernières années, on a accueilli plus de 130.000 réfugiés. Donc, non, on n'a pas cette peur-là."
Un deal profitable
Il faut dire que pour mettre toutes les chances de son côté, Londres a sorti son carnet de chèques et s'est engagé à financer le dispositif à hauteur de 144 millions d'euros. Un "deal" sans risque car pour Boris Johnson, pas de doute, le Rwanda est l'un des pays "les plus sûrs au monde". Un avis qu'est loin de partager Maître Bernard Ntaganda, président fondateur du parti d'opposition rwandais Imberakuri : "Comment un pays qui réprime ses ressortissants peut être considéré comme un pays qui peut donner la sécurité à ces réfugiés ? Nous avons un régime qui devrait être mis au ban par la communauté internationale. On va utiliser le Rwanda comme un tremplin pour se débarrasser de ces infortunés."
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Détourner l'attention
Avec cet accord, le gouvernement Johnson espère décourager les candidats au départ vers le Royaume-Uni. Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, en 2021, ils étaient 28.500 à avoir effectué cette périlleuse traversée soit trois fois plus que l'année précédente. "C'est assez choquant de voir qu'un accord comme ça a été passé," déclare Philippe Hensmans d'Amnesty International. "Envoyer des personnes dans un autre pays et encore un pays avec un bilan qui est assez lamentable en matière de droits humains, pour - entre guillemets - le "traitement de l'asile", c'est de l'irresponsabilité."
Pas plus tard que l'an dernier, le Parlement européen avait adopté une résolution condamnant le bilan du Rwanda en matière de droits humains. Sauf que les députés britanniques n'y siègent plus depuis début 2020, suite au Brexit. Au Royaume-Uni, l'opposition a dénoncé "l'inhumanité du projet". Et même dans les rangs conservateurs, les critiques ont fusé. Un député a estimé qu'il s'agissait d'une énorme tentative de détourner l'attention des déboires de Boris Johnson.