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"Sans la Monusco, ce serait pire" (Denis Mukwege)

27 novembre 2019

La Monusco, mission des Nations unies en RDC, est accusée d’inaction face aux massacres des civils. Mais sa présence est nécessaire, selon Denis Mukwege. Interview avec le prix Nobel de la paix.

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Bonn Interview mit Denis Mukwege
Image : DW/Dirke Köpp

"Les attaques contre la Monusco ne sont pas la solution" (Médecin congolais, Prix Nobel de la paix)

Ce mercredi, un porte-parole de la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (RDC), a annoncé la mort d'au moins 13 civils, des personnes tuées près d'Oicha, à 30 km au nord de Beni dans l'est du pays. Un nouveau massacre attribué au groupe armé des ADF. 

Au total ce sont 94 civils qui ont été tués depuis le 5 novembre dans des massacres attribués au groupe armé d'origine ougandaise ADF, d'après des souces proches de la Monusco.

La présidence congolaise a annoncé lundi (25 novembre), des opérations militaires "conjointes" avec les Casques bleus des Nations unies (16.000 au total en RDC). En visite à Paris, la présidente de l'Assemblée nationale congolaise, Jeanine Mabunda, s'est publiquement interrogée sur le rôle de l'ONU dans son pays, jugeant "légitime que les populations se demandent pourquoi cette force persiste en RDC".

Le Conseil de sécurité des Nations unies doit renouveler le mandat de la Monusco d'ici à la fin de l'année.

Pour le gynécologue congolais, Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, "les attaques contre la Monusco ne sont pas la solution". Il appelle au calme. Un appel lancé de Bonn en Allemagne où il est en visite.

Voici son interview:

Mukwege : La population de Beni subit des atrocités depuis plus de cinq ans. Sa colère peut se comprendre. Mais de l'autre côté, je ne pense pas que s'attaquer à la Monusco, c'est une solution. Je pense qu'il faut plutôt négocier, dialoguer pour trouver des bonnes solutions. La violence ne peut engendrer que la violence.

Je crois que l'absence de la Monusco serait plutôt dramatique, même si elle n'a pas su enrayer la crise. Et ça vraiment, il faut le reconnaître. Le message que je peux donner à la population, c'est qu'on puisse réfléchir à d'autres solutions, surtout dans le cadre du chapitre 7 des Nations unies. Je crois que ce qui s'était passé en Ituri avec Artemis et l'armée française, cela avait montré son efficacité puisque c'était une opération de courte durée mais qui a été très, très efficace et qui a évité tout simplement un génocide. Au lieu de s'attaquer à la Monusco, je pense qu'il faut penser à des solutions alternatives.

DW : Comment comprendre qu'en dépit de la présence de plus de 15.000 Casques bleus et des milliers de soldats congolais, des massacres visant les populations civiles se poursuivent dans cette région de la RDC ?

Friedensnobelpreis Denis Mukwege
Image : Getty Images/V. Boyko

Mukwege : C'est pour cette raison que je crois fermement qu'il faut réfléchir à d'autres solutions. On ne peut pas continuer à utiliser les mêmes recettes pendant 10 ans sans qu'il y ait une solution. A mon avis, il faut utiliser le chapitre 7. Si on l'utilise correctement – et je répète comme on l'a fait en Ituri – je pense qu'il peut y avoir des solutions. Aujourd'hui, la réaction de la population vis-à-vis des forces des Nations unies n'apportera aucune solution.

Qui est responsable? Je pense que le grand problème au Congo c'est que tout le monde veut trouver des boucs émissaires. Mais les vrais responsables sont connus et je pense qu'il faudrait à un moment rendre justice au Congo : qu'on puisse établir un tribunal pour déterminer qui a fait quoi.

DW : Pour vous, le grand responsable c'est qui?

Mukwege : Je crois qu’à partir du moment où les Nations unies donnent des moyens à un gouvernement pour mettre fin aux actions de groupes armés et que pour contrecarrer l'action des Nations unies, le gouvernement nomme des généraux sous sanctions pour collaborer avec les Nations unies, ces gens-là doivent répondre de toutes ces atrocités qui se passent à l'est du Congo aujourd'hui. Et je pense que si on ne pose pas les problèmes comme ça, on va continuer à chercher des boucs émissaires et ça ne va pas nous arranger. Malheureusement ce sont nos frères et nos sœurs qui sont tués de façon atroce et je crois qu'il y a des images qu'on voit aujourd'hui circuler sur les réseaux sociaux et qui sont tout simplement inacceptable et je trouve qu'à partir du moment où le gouvernement peut refuser d'être soutenu pour enrayer ces groupes armés, il devrait répondre de ses actes.

DW : Votre champ d'action ce sont les violences sexuelles à l'encontre des femmes. Quelle est la situation aujourd'hui depuis l'arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi ? Qu'est-ce qui a changé ?

Mukwege : Moi, je me réserve de me prononcer puisque je considère qu'il n'en est pas encore temps. Sinon je serais dans des spéculations partisanes. Je crois qu'il faut juger sur la base des faits. Aujourd'hui je dois dire que s'il y a de la violence, si on est en train d'égorger les gens à la machette, vous ne pouvez pas dire que les femmes sont préservées. Je crois qu'on a vu des images de femmes tuées de façon tout simplement déshumanisante. Et c'est inacceptable. Je crois qu'aujourd'hui, tant qu'il y aura des conflits tel que nous le connaissons où on ne connaît même pas qui se bat contre qui, malheureusement ce sont les femmes et les enfants qui se trouvent entre les belligérants. Donc la situation des femmes ne s'est pas améliorée, tant qu'il y aura des groupes armés qui s'attaquent à la population civile et spécialement aux femmes et aux enfants.

DW : Vous êtes co-lauréat du Prix Nobel de la paix 2018. Qu'est ce qui a changé chez vous dans vos activités depuis l'obtention du Prix Nobel de la paix?

Mukwege : Je crois qu'il y a eu beaucoup de choses qui ont changé par le fait de nous avoir attribué ce prix Nobel de la paix. Cela a permis à ce que les questions de violences sexuelles dans les conflits puissent être mises sur la place publique. Aujourd'hui, on parle de ces questions beaucoup plus qu'on le faisait avant. Personnellement, j'étais co-président du Comité consultatif du G7 pour l'égalité homme-femme. Les hommes ont le sentiment d'avoir des droits sur les femmes. Je pense que l'éducation pour cette égalité et l'éducation pour une masculinité positive, donner aux femmes le droit à la santé reproductive, à l'éducation pour tous etc., ce sont des pratiques qui aident. Normalement, on devrait les voir dans tous les pays.

Nous avons également avec le gouvernement allemand la résolution 2467. Cette résolution pour la première fois a demandé au secrétaire général des Nations unies de faire des propositions concrètes pour les enfants issus du viol. Vous savez qu'aujourd'hui nous avons ces enfants qui sont abandonnés à eux-mêmes, sans identité, sans filiation, et parfois les mères sont obligées tout simplement de les abandonner. Et ils n'ont pas demandé à naître, ces enfants. Nous avons une responsabilité par rapport à ces enfants.

Georges Ibrahim Tounkara Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle