Des dizaines de médias suspendus au Tchad
19 mars 2024C'est une décision suprenante. Celle prise lundi 18 mars par l'organe chargé de la régulation des médias, la Haute autorité des médias et de l'audiovisuel (Hama), au Tchad. A environ un mois et demi de la présidentielle, du 6 mai, elle a décidé de suspendre 31 médias, dont une vingtaine de journaux imprimés francophones et arabophones, ainsi que sept sites d'information en ligne. Selon l'autorité de régulation, ces organes n'ont pas respecté l'obligation de paraître au moins une fois par an et de faire un dépôt légal, conformément à la loi.
Menace pour la liberté de la presse
C'est une atteinte à la liberté de presse, estiment cependant certains Tchadiens. "C'est de la dictature", s'emporte une citoyenne au micro de la DW. Et d'ajouter : "C'est la liberté de la presse qui est menacée au Tchad." Un sentiment partagé par d'autres citoyens à N'Djamena. Les professionnels des médias sont eux aussi très inquiets. "Cette attitude a toujours animé la Haute autorité des médias et de l'audiovisuel", déplore Eric Kokinagué, fondateur du journal Tribune Infos, un des médias suspendus. "A chaque fois que nous nous approchons des échéances électorales dans notre pays, il est question de suspendre bon nombre des médias qui peuvent gêner. C'est une décision liberticide."
Un avis partagé par Nathan Leubnoudji, le vice-président de l'Union des journalistes tchadiens, qui craint des répercussions sur la campagne électorale. "Voir une trentaine de médias suspendus sur l'échiquier qui n'en compte pas 100, cela veut dire qu'il y a volonté de ne pas informer, de ne pas sensibiliser", insiste-t-il. "Quelle que soit la raison qui sous-tend cette décision, le contexte ne s'y prête pas".
Les autorités démentent
Abderamane Barka, le président de la Haute autorité des médias et de l'audiovisuel, affirme lui que la décision n'a rien à voir avec le contexte électoral. "Il s'agit de l'aboutissement d'un processus lancé il y a quatre années avec la recherche de la régulation des médias", assure-t-il. "Et on constate que ces journaux, en réalité, n'existent plus. Donc s'ils veulent exister de nouveau, ils peuvent reprendre les procédures de parution". Il insiste : les journaux ne sont pas "fermés" mais "suspendus" et réfute tout lien avec les élections. "Quelqu'un qui n'existe pas, est-ce qu'il pourra exister pendant les élections ? Nous sommes une institution indépendante et nous prenons nos décisions de façon indépendante et collégiale".
En dépit des arguments avancés par l'autorité de régulation, pour de nombreux observateurs, la suspension d'une trentaine de médias demeure un signe troublant pour la liberté de presse, surtout en période électorale.