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Une pièce de théâtre pour montrer le terrorisme au Sahel

Tania Krämer
22 juin 2023

Dans un village fictif du Sahel, des villageois vivent sous le contrôle d'islamistes armés. La pièce "Terre Ceinte" est jouée par une troupe burkinabè à Cologne en Allemagne.

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Le comédien Ali K. Ouédraogo dans la pièce Terre Ceinte, mise en scène par Aristide Tarnagda et jouée à Cologne
Le comédien Ali K. Ouédraogo dans la pièce Terre Ceinte, mise en scène par Aristide Tarnagda et jouée à CologneImage : Sophie Garcia

Ils sont sept sur scène. Grâce à la magie du théâtre, nous ne sommes plus à Cologne, dans l'Ouest de l'Allemagne, mais dans le village fictif de Kalep, quelque-part dans la région du Sahel.

Deux jeunes de 18 et 20 ans viennent d'être exécutés pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage. Leurs mères s'échangent des lettres pour partager leur douleur.

En parallèle, des villageois se rassemblent pour publier un journal clandestin. Un acte de résistance courageux face à la Fraternité, un groupe islamiste armé. Il a pris le contrôle du village depuis plusieurs années. Les exécutions pour l'exemple et exactions sont devenues monnaie courante.

Reportage sur scène

Une première en Europe

Du 1er au 11 juin 2023 se tenait à Cologne le festival artistique Africologne. Il permet des rencontres et échanges entre artistes africains et européens. Dans ce cadre se jouait, pour la première fois en Europe, une adaptation de Terre Ceinte, premier roman de l'écrivain Mohamed Mbougar Sarr, par le metteur en scène Aristide Tarnagda.

Un roman écrit par un Sénégalais, mis en scène et joué par des Burkinabè, présenté à un public principalement allemand. L'histoire d'un village fictif du Sahel sous le contrôle d'un groupe islamiste armé, miroir de l'actualité brûlante de la région, mais aussi de questionnements universels sur la violence et la résistance. Comment le théâtre peut-il sensibiliser à une violence vécue de manière très réelle à des milliers de kilomètres ?

L'art pour comprendre...

"Terre Ceinte c'est vraiment un miroir tendu aux Burkinabès", souligne Aristide Tarnagda, metteur en scène. "Parce qu'eux même se sont retrouvés dans la même situation, en proie à des violences liées au terrorisme..." Lorsqu'il est tombé sur le texte de Terre Ceinte, il y a vu la possibilité de s'engager en tant qu'artiste dans la lutte contre les violences djihadistes en cours dans son pays.

Depuis 2015, le pays est fortement touché par les exactions de groupes armés apparus au Mali et au Niger quelques années auparavant. Selon des ONG, les violences ont fait plus de 10.000 morts et 2 millions de déplacés en sept ans. 

Pour la troupe, cette pièce est l'occasion de parler directement à la population touchée. "Je pense qu'à travers Terre Ceinte, les gens guérissent.  Et surtout ils comprennent de façon sensible ce qu'il s'est passé, où a eu lieu la chute. Comme dit le proverbe, quand tu tombes il ne faut pas regarder où tu es tombé, mais là où tu as trébuché. Et le théâtre permet cela : de voir où tu as trébuché."

...et pour guérir

En temps de crise, le théâtre, et l'art en général, peut avoir une fonction cathartique, donner du sens à un vécu souvent d'une grande violence.

Questionner, aider, pousser à l'engagement... "Nous voyons aujourd'hui au Burkina comment les artistes se sont engagés", remarque Odile Sankara, comédienne et intrerprète de Sadobo, l'une des mères en deuil. Elle est présidente des Récréâtrales, festival de théâtre à Ouagadougou, au Burkina Faso.

Avec la troupe, ils ont organisés des ateliers de théâtre auprès des déplacés burkinabès, et ont observé comme le théâtre leur a permis de s'exprimer. "Avec rien, les artistes ont pris à bras le corps cette question, et font des choses merveilleuses. Je pense que l'art, plus que jamais, est l'endroit de la vérité", ajoute la comédienne à la fin de leur répétition générale.

Sensibiliser un public européen

L'oeuvre de Mbougar Sarr résonne donc au Burkina, mais pas seulement. Le théâtre réduit la distance avec son sujet. Jouer devant un public allemand, c'est transmettre par l'art un drame régional peu présent dans la presse allemande, comme le rappelle Kerstin Ortmeier, co-directrice du festival Africologne : "C'est vraiment très important aussi pour notre public ici de savoir ce qu'il se passe au Burkina, parce que par nos médias on n'en sait pas trop !"

Lorsque l'organisatrice voit cette pièce jouée à Ouagadougou en novembre 2022, elle l'imagine immédiatement sur une scène allemande. Une manière selon elle pour le public allemand de toucher du doigt la violence, transmise par des histoires concrètes.

Fresque murale à Ouagadougou le 01.03.2023
Fresque murale à Ouagadougou le 01.03.2023Image : AP/picture alliance

"Qu'est ce que je fais de ma responsabilité ?"

Retour sur scène. Dans un bar de Kalep, la conversation entre villageois révoltés s'échauffe. Les publicateurs du journal clandestin sont-ils responsables de la mort de ceux qui se sont fait prendre en sa possession ? Le débat éthique résonne de manière universelle. L'un des personnages se tourne vers le public : "On a tous, tous, déjà regardé sans rien faire !"

Un frisson parcourt l'assemblée. Quand les personnages s'adressent directement aux spectateurs, ils questionnent aussi leur responsabilité en tant qu'observateurs plus ou moins lointain. 

Aristide Tarnagda voulait que chacun se sente concerné. "Il y a une magnifique phrase dans ce texte, je crois que c'est Sadobo qui le dit : "L'avenir dépendra de ce que chaque homme fera de sa responsabilité, de sa conscience et de sa liberté ». C'est essentiel. Qu'est-ce que je fais de ma responsabilité de médecin, de journaliste, d'artiste ? Qu'est-ce que je fais en tant que président de la République, en tant que soldat, quand un pays est en crise ? Qu'est-ce que je fais pour que ce pays ne sombre pas ? En fait, quand tu poses la question de la responsabilité, tu ne parles plus à un homme, tu parles à tous les hommes."

"A chaque fois que nous allons la jouer nous leur rendons hommage" 

Fin de la pièce d'1h45. Un musicien, présent tout au long de la pièce, chante une mélodie lancinante accompagné d'une simple guitare. Chaque acteur s'enveloppe d'un drapeau. Mali, Tchad, Nigeria, Burkina, Niger, Côte d'Ivoire... ils se tiennent en ligne, l'air grave.

Il s'agit d'une façon d'honorer chaque pays du Sahel touché par la violence terroriste, et puis de rappeler que la fiction qu'ils jouent là à Cologne, c'est aussi leur réalité. "Nous vivons cette situation, réellement, depuis plus de huit ans.  Pour moi ce n'est pas quelque chose d'extra, c'est quelque chose que je vis", note calmement Noël Minoungou, comédien et interprète de Malamine, l'un des personnages principaux.

La troupe est entièrement burkinabè et chaque comédien et comédienne a son propre vécu vis-à-vis de la situation dans le pays.

"C'est difficile à jouer. Pour moi particulièrement, c'est difficile à jouer, reconnaît Noël Minoungou. Parce qu'encore aujourd'hui il y a forcément des gens qui vont mourir au Burkina. Difficile dans ce sens, mais aussi intéressant, parce que toute ces personnes qui sont tombées depuis toutes ces années, ne seront pas oubliées, à travers cette pièce. A chaque fois que nous allons la jouer, la rejouer, nous leur rendons hommage."

A la fin de cette première en Allemagne et en Europe, le public se lève pour applaudir. Certains essuient une larme. La standing ovation dure trois longues minutes, signe que le message est passé.

100.000 pavés du souvenirs à travers l'Europe // Le terrorisme sahélien sur une scène allemande

Retrouvez aussi ce reportage dans Vu d'Allemagne, le magazine sur la République fédérale diffusée chaque mercredi et chaque dimanche à 17h30TU et en podcast sur notre site.