Un criminel parmi d'autres
16 mars 2012Cet intérêt s'explique aussi par le fait que bon nombre de journalistes allemands ont rencontré Thomas Lubanga à Bunia en 2003, alors que la guerre faisait rage en Ituri, dans le nord-est de la RDC. Michael Bitala par exemple, de la Süddeutsche Zeitung, se souvient d'avoir été régulierement invité, au printemps 2003, à des conférences de presse et des repas par l'ancien chef de milice. On peut être criminel de guerre, écrit-il, et avoir le sens de l'hospitalité. Notre confrère se souvient aussi que la ville de Bunia grouillait à l'époque d'enfants-soldats, qui assassinaient, violaient, pillaient. Leurs victimes pouvaient être des bébés s'ils appartenaient à un groupe ethnique rival. 60 000 personnes auraient péri dans ce conflit autour de Bunia. Il était logique, ajoute Michael Bitala, que Thomas Lubanga soit le premier inculpé de crimes de guerre par la CPI. Mais il ne fut qu'un criminel parmi d'autres. Et, lit-on plus loin, un autre procès passionnera sans doute plus les Congolais, celui de Jean-Pierre Bemba. Car il n'a pas été seulement chef de milice, mais aussi vice-président du Congo.
Thomas Scheen, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, a lui aussi rencontré Thomas Lubanga à Bunia, en juin 2003. Lui aussi souligne que le chef des Forces patriotiques pour la libération du Congo, branche armée de la milice hema appellée Union des patriotes congolais, n'a certainement pas été le seul assassin de masse. Mais ce psychologue diplômé était de loin le mieux organisé. Le conflit en Ituri, ajoute Thomas Scheen, a été typique de la situation d'alors au Congo, un pays qui a deux reprises a été la cible d'agressions rwandaise et ougandaise. L'enjeu était les matières premières, l'or dans le cas de l'Ituri, que les pays voisins voulaient s'approprier. Lubanga était l'homme idoine pour atteindre cet objectif. A cette fin le conflit foncier, latent depuis 30 ans, entre éleveurs Hema et agriculteurs Lendu a été artificiellement attisé.
Un jugement bienvenu
Dans son ensemble, la presse allemande salue le verdict de la CPI. Pour la Berliner Zeitung, par exemple, ce jugement fait clairement comprendre à tous les criminels du monde, imbus de leur toute puissance et de leur impunité qu'un jour ou l'autre ils devront rendre des comptes. Le jugement sauve aussi la réputation de la cour pénale qui aura mis dix ans avant de rendre son premier verdict. Et ajoute le journal, c'est aussi un reproche à l'adresse de ceux qui boycottent la CPI comme les Etats-Unis, la Chine, le Soudan et Israël. Il faudra du temps, souligne le quotidien Die Welt, avant que la Cour de la Haye exerce un effet dissuasif sur de potentiels criminels de guerre, mais la création de cette institution était nécessaire.
die tageszeitung parle elle aussi d'un jugement historique, mais insiste par ailleurs sur les limites de la CPI. Plusieurs années après la fin d'une guerre, écrit le journal, il est facile de dénoncer l'enrôlement d'enfants dans une milice. Mais dans un environnement d'expulsions massives et d'assassinats ethniques, que faire d'autre, pour survivre, si ce n'est se joindre à une milice? Et la justice n'exige-t-elle pas que la lumière soit faite sur les massacres commis par tous les camps? Le problème, ajoute le journal, est que la CPI n'est pas une commission vérité et réconciliation, ni un tribunal pour le Congo, et elle ne peut pas l'être. La confrontation avec le passé ne peut se faire qu'au Congo, mais il est à craindre que le travail sélectif de la CPI retarde une telle confrontation. Pour la Süddeutsche Zeitung, la véritable dimension historique de ce procès est plus profane que symbolique, elle ne doit pas être pour autant sous estimée. Le proces Lubanga est le premier procès de la CPI, il ne peut donc être qu'un essai.
Engagement ou manipulation?
Mais si la CPI a pu juger Lubanga, en revanche elle n'a toujours pas mis la main sur d'autres criminels de guerre, comme l'Ougandais Joseph Kony. Une vidéo sur le chef de l'Armée de résistance du seigneur a été mise en ligne sur internet, et elle lui vaut une célébrité qui soulève des questions dans la presse. Kony le Barbare, titre l'hebdomadaire Die Zeit qui note que quelque chose de nouveau est en train de se passer. Cela concerne des enfants-soldats africains et d'innombrables chambres d'enfants à Berlin, New York, Paris, Londres et ailleurs. En l'espace de dix jours, le film sur le chef de guerre Joseph Kony, qui a recruté des dizaines de milliers d'enfants-soldats, a été vu plus de 100 millions de fois. La vidéo, commandée par l'ONG Invisible Children, s'inscrit dans la campagne "Kony 2012", l'objectif étant l'arrestation de Kony avant la fin de l'année. Bien des choses sont à critiquer dans cette campagne, estime Die Zeit, mais conclut le journal, le mouvement venu des chambres d'enfants montre qu'il existe une disposition inexplorée à s'ingérer, à stopper les despotes et les criminels de guerre. Espérons que nos gouvernements seront assez politiques pour s'en rendre compte.
La Frankfurter Allgemeine Zeitung dénonce en revanche une manipulation. Invisible Children se bat pour un monde meilleur, ce à quoi il n'y a rien à objecter. Mais souligne le journal, depuis quelques années la donne a changé pour Kony. Depuis 2008 il est en fuite et n'a plus autour de lui qu'une poignée de partisans. Ce qui reste de la LRA se cache quelque part aux confins de la Centrafrique. Or, poursuit la FAZ, le film fait croire au contraire que Kony est actuellement le principal problème de l'Afrique et que la communauté internationale reste les bras croisés. Cette grotesque déformation des faits ne peut fonctionner que pour une seule raison: Joseph Kony n'est connu que de ceux qui s'intéressent vraiment à l'Afrique.
Auteur: Marie-Ange Pioerron
Edition: Fréjus Quenum