Le Burkinabè Adnan Sidibé est le lauréat 2024 du prix du meilleur fact-checker professionnel du continent africain. Ce prix lui a été décerné courant octobre lors de l'Africa Fact Summit, au Ghana.
Membre de FasoCheck, il est notre invité cette semaine, pour parler de la désinformation en Afrique et de ses effets sur les populations, mais aussi des moyens de la combattre efficacement.
Interview d'Adnan Sidibé, de FasoCheck
DW : Adnan Sidibé, vous avez remporté le prix du meilleur fact-checkeur professionnel du continent africain lors de l'Africa Facts Summit. Quel effet vous fait cette récompense ?
Pour moi, c'est une très grande fierté, un très grand honneur, mais aussi une très grande reconnaissance de la pratique du fact-checking dans mon pays et surtout au sein de mon organisation FasoCheck qui travaille jour et nuit à lutter contre la désinformation au Sahel.
DW : Avec l'arrivée des réseaux sociaux, le continent africain a connu une augmentation rapide des campagnes de désinformation modernes. Des chercheurs ont recensé 189 campagnes de désinformation en Afrique au cours des deux dernières années. Qui est à l'origine de ces campagnes et qu'ont-ils à y gagner ?
La désinformation en elle-même existe depuis des millénaires, sous d'autres formes, et actuellement, avec les réseaux sociaux, bien évidemment, elle a pris une autre ampleur. Lorsque vous abordez la question des 189 campagnes en Afrique, c'est une étude du Centre d'étude stratégique africaine qui a révélé cela. Et cette étude est un peu focus sur des pays comme la Russie, la Chine, les Émirats arabes unis, etc.
Mais en réalité, il ne faut pas occulter que ce sont les cas les plus visibles, parce qu'il y a en arrière aussi d'autres pays, notamment des pays occidentaux, qui aussi mènent des opérations d'influence informationnelle à des échelles différentes.
DW : Parlons maintenant des effets de la désinformation sur les pays africains en général et sur votre pays, le Burkina Faso en particulier. Et que faut-il faire pour combattre la désinformation selon vous ?
Déjà, il faut reconnaitre que le fact-checking s'intéresse à tous les sujets. Du moment qu'il y a un intérêt public à le vérifier et qu'il y a un fait à vérifier.
On a notamment des questions comme les questions de santé, d'environnement, d'éducation qui touchent directement la population.
Restons sur le cas de la santé où ces dernières années, avec les réseaux sociaux notamment, il y a une prolifération des médecins sur la base d'une médecine tradipraticienne. Ils disent que lorsque tu associes telle feuille à telle feuille, lorsque tu laisses bouillir à telle température, tu prends, tu bois ça, et ça peut soigner telle maladie. Mais tout cela n'est fondé sur aucune étude, en fait.
Donc ça présente un réel danger de santé publique, notamment avec ces maladies que nous voyons comme les insuffisances rénales. Et après on se retrouve avec des maladies, on ne comprend pas d'où ça vient et après investigation, on se rend compte que c'est dû à cette potion soi-disant magique.
Et justement, on l'a vu avec la Covid-19 qui a aussi eu un impact significatif dans nos pays où ces pseudo-médecins sur les réseaux sociaux ont présenté plusieurs traitements. Des gens les ont suivis et d'aucuns ne s’en sont pas sortis vivants.
Pour combattre la désinformation, il y a plusieurs aspects. Il y a déjà ce que nous, on essaie de faire au niveau de FasoCheck, avec l'accompagnement de la Deutsche Welle, et mis en place au sein des différentes radios communautaires. C'est-à-dire outiller d'autres journalistes à pouvoir faire le fact-checking et aussi l'éducation aux médias et à l'information.
DW : Enfin, parlons de votre séjour en Allemagne où vous poursuivez vos études en vue de l'obtention d'un master de journalisme avec la Deutsche Welle Academie. Quelle importance accordez-vous à ces études et comment comptez-vous les mettre au service de votre lutte contre la désinformation ?
Déjà, ce programme est une très grande opportunité pour moi, jeune fact-checkeur venant du Sahel. Et je me dis aussi que c'est un programme auquel je prends part pour renforcer mes capacités, pour devenir encore meilleur dans la pratique journalistique et revenir pour le réinvestir au pays.
Réinvestir le pays, c'est-à-dire arriver à créer des projets éditoriaux qui ont un impact pour les communautés à la base.