En Afrique aussi, l’islamophobie est une réalité
15 mars 2023Ce mercredi 15 mars marque la journée internationale de lutte contre l’islamophobie. Les Nations unies définissent l’islamophobie par la peur, les préjugés et la haine envers les musulmans. C’est l’année dernière que les Nations unies ont adopté une résolution proposée par le Pakistan qui a instauré cette journée.
D’après l’ONU, depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et d’autres actes terroristes, les soupçons pesant sur les musulmans ont pris les proportions d’une épidémie.
"Un récit a été élaboré et diffusé qui associe les communautés musulmanes et leur religion à la violence et au danger", a déclaré Bilawal Bhutto Zardari, ministre pakistanais des Affaires étrangères et président du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'Organisation de la coopération islamique (OCI). C’était au cours d’un évènement spécial organisé par les Nations unies vendredi (10.03.23).
Sur le continent africain, également marqué par des attaques djihadistes, la communauté musulmane est stigmatisée, qu’elle soit minoritaire dans le pays ou non.
Bakary Sambe, directeur régional du laboratoire d’idées Timbuktu Institute parle de l’islamophobie comme d'un phénome nouveau. Entretien :
Bakary Sambe : La religion musulmane a été rarement un facteur de déstructuration dans nos sociétés. Les populations africaines, nos communautés ont vécu pendant très longtemps dans une forme de diversité religieuse parce qu'elles avaient des valeurs. Elles avaient des ressorts culturels qui les réunissaient bien avant l'arrivée des religions dites étrangères comme le christianisme ou encore l'islam. Mais du fait de l'émergence du terrorisme et du développement du terrorisme dans certains pays, ainsi que le glissement de ce terrorisme-là vers des pays du golfe de Guinée aujourd'hui, qui ne sont pas des pays à majorité musulmane, ce glissement-là fait qu'il y a une forme de méfiance de plus en plus marquée, de stigmatisation qui peut même parfois être une stigmatisation de type ethnico-culturel.
Vous parlez d'un phénomène nouveau, mais quelle est son ampleur ?
Vous savez que nos populations ne sont pas en vase clos. On est aujourd'hui influencé par les médias internationaux... qui diffusent des images à travers le monde. Mais je crois qu'en Afrique, il y a une forme de résilience par rapport à cette islamophobie, il suffirait simplement de travailler sur cette résilience-là pour ne pas arriver à la même situation qu'en Occident, de manière générale.
On voit que dans des pays comme la RDC ou la République centrafricaine, les musulmans y sont minoritaires. On voit que parfois il y a des amalgames aussi qui ont lieu suite à des attaques, pour ce qui concerne la RDC, et parce que la Séléka en Centrafrique était une milice rebelle musulmane qui a pris le pouvoir par exemple.
L'islamophobie serait inhérente à mon avis à ce qu'on pourrait appeler la manipulation des symboles religieux pour des motifs politiques, tel que cela a été le cas de la Séléka en Centrafrique, tel que c'est le cas aussi dans d'autres pays à minorité musulmane comme la RDC et dans des pays voisins. C'est-à-dire que ce sont les conflits locaux, les conflits environnants qui sont en train d'utiliser le facteur religieux, alors qu'il n'est pas du tout déterminant dans la méfiance que l'on peut observer comme dans d'autres régions. Je pense qu'aujourd'hui l'Afrique a encore des ressorts en termes de résilience. Mais il faudrait régler les questions liées à l'utilisation du religieux dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, mais aussi par une éducation au vivre-ensemble pour lesquelles nous avons de sacrés ressorts, à mon avis, à revitaliser pour éviter les dérives que l'on voit en Occident ou aux Etats-Unis.