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"Le principe du pollueur-payeur devra s'appliquer"

Dirke Köpp
24 novembre 2021

Interview avec Eve Bazaiba, la ministre de l'Environnement en RDC, après la COP26 de Glasgow.

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Eve Bazaiba, la ministre congolaise de l'Environnement, est notre invitée de la semaine. Elle revient sur les acquis de la COP26 à Glasgow et sur le rôle que son pays joue pour l'atténuation du réchauffement climatique. Puis elle explique l'audit sur les concessions forestières en cours en RDC. Eve Bazaiba s'exprime au micro de Dirke Köpp. 

DW : Madame la ministre, vous revenez tout juste de la Cop 26 à Glasgow. Beaucoup d'activistes environnementaux sont déçus... Quelle est votre vision des résultats ? 

Eve Bazaiba : Je pense qu'en ce qui concerne la République démocratique du Congo, nous ne pouvons pas parler en termes de déception parce qu'il y a toujours dans un processus des acquis. Et puis, il y a des faiblesses qu'on va chercher à combler. 
En ce qui concerne mon pays au sein du bassin du Congo, en Afrique, les acquis, d'abord, c'est de manière tout à fait ostentatoire et incontestable que la République démocratique du Congo est un pays solution face aux enjeux du climat, face au réchauffement climatique. Personne ne peut le contester. 
Nous avons pu faire entendre notre voix et il est aussi tout à fait clair que nos pays au sein du bassin du Congo, nous ne sommes pas des émetteurs, nous ne sommes pas des pays pollueurs et que le principe du pollueur-payeur devra s'appliquer et que tout le monde sait, par principe d'interdépendance des Etats, qu'il y a d'un côté ceux qui ont pollué et de l'autre côté, nos forêts organisent les services de capturer ou de séquestrer ces pollutions

Dans le Parc de Virunga (archive)
Dans le Parc de Virunga (archive)Image : WWF/Brent Stirton

DW : Justement,l'Afrique déplore le peu de financement pour faire face aux effets du changement climatique. Qu'est-ce que vous exigez en contrepartie du sauvetage des forêts ? 

Eve Bazaiba : Lorsque nous exigeons ces financements, ce n'est pas pour les mettre dans le cadre de l'aide au développement. Plutôt pour considérer que c'est leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. Parce que le réchauffement climatique est la résultante de l'industrialisation du monde. Nous n'allons pas les condamner. Ils sont allés à l'industrialisation du monde, nous aussi, nous avons bénéficié de cette industrialisation d'une certaine manière, les véhicules et la flotte aérienne, la flotte marine ou fluviale et tout le reste… tout ça, ce sont des industries qui polluent. Nous en avons bénéficié, mais ils doivent savoir qu’ils sont responsables et qu'ils ont les moyens nécessaires pour que nous puissions protéger ces potentiels-là qui vont nous amener à atteindre l'atténuation, qui doit nous amener à favoriser l'adaptation. Ces potentiels, c'est quoi ? C'est la forêt. 
Pour la République démocratique du Congo, la meilleure stratégie pour protéger la forêt, c'est élargir la desserte de la population en électricité. Donc, si nous élargissons la desserte en électricité de 14 %, l’actuel accès des Congolais à l'électricité, et que nous arrivions par exemple à 70%, en utilisant aussi l'énergie photovoltaïque parce que le soleil nous passe par-dessus la tête et aussi d'autres énergies alternatives comme la biomasse et éolienne, nous pensons alors que nous allons protéger suffisamment la forêt.

DW : Par rapport aux forêts toujours, est-ce qu'il ne faudrait pas un changement des mentalités ? Parce que pour l'instant, un arbre mort vaut financièrement toujours plus qu'un arbre vivant. Est ce qu'il ne faudrait pas changer les mentalités des gens aussi qui veulent coûte que coûte vendre des concessions, par exemple, à l'industrie du bois ? 

Eve Bazaiba : Il faut maintenant l'éducation, la sensibilisation, l'information pour dire qu'on ne vit pas seulement comme au Congo. Nous sommes dans le monde aujourd'hui, dans la planète, et il y a un problème grave de réchauffement climatique. Ce ne sont pas les dieux qui se sont fâchés pour que les pluies ne tombent plus, parce que c'est ce que ressent au moins la population dans les villages. On a vu qu'il y a quand même une différence. Les pluies ne viennent plus comme avant et il fait encore plus chaud, même dans les zones où il faisait frais. Ce n'est pas que les dieux se sont fâchés, mais c'est un problème de réchauffement climatique !

DW : Excusez-moi de vous interrompre, mais je ne parle pas des êtres humains qui, entre guillemets, se nourrissent de la forêt. Mais je parle vraiment des grandes entreprises, des multinationales qui espèrent des concessions ou à qui on a attribué des concessions et qui tirent des milliards de ces forêts-là. 

Eve Bazaiba: Le gouvernement de la République a pris dix mesures pour la gestion rationnelle des forêts. Parmi les premières mesures, nous avons par exemple la révision de tous les contrats de concession, que ce soient des conservations d'exploitations, parce que nous avons des assignations au niveau international. Cela concerne non seulement la gestion rationnelle de nos forêts, la restauration de nos écosystèmes, mais l'élargissement aussi des aires protégées évidemment, pour atteindre l'objectif d'atténuation. 
Nous avons aussi des mesures par exemple d'interdiction, la suspension de toute exportation des bois, des grumes brutes, en dehors de notre pays jusqu'à nouvel ordre. Parce que nous sommes en train, justement, de contrôler et tout ça fait partie de l'objectif de ne plus vendre et brader nos forêts. 
Nous avons même pris des mesures de suspendre tout ce qu'il y avait comme contrat acquis de manière illégale, qui ne respectent pas (la loi) – parce qu'il y a des seuils, des superficies qu'on peut vendre au privé - nous les avons suspendus. Il y a un débat autour de la société Tradelink par exemple. Nous avons suspendu tous ces contrats. C'est fini. Cette affaire-là est close. Et après la suspension, on va y aller point par point, on arrivera même à retirer les contrats chez certains.  
Ce sont là les mesures qui traduisent que si hier, on n'avait peut-être pas compris les potentiels, l'importance du potentiel des forêts, aujourd'hui, non, il n'en est plus question. Le gouvernement de la République est réveillé sur cette question-là et plus personne ne peut brader ces ressources.

DW : Votre réponse à l’organisation Greenpeace, qui vous reproche justement d'avoir donné des concessions à Tradelink, est donc : Ça y est, c'est suspendu. C'est une affaire close? 

Eve Bazaiba: Moi, je n'aime pas trop parler de cette organisation. Je parle de la population parce que les forêts là appartiennent à la République démocratique du Congo. Et moi, en tant que membre du gouvernement, j'ai le devoir de protéger les potentiels sectoriels de la République démocratique du Congo. La question des reproches de cette organisation... personne n'est venu me voir au bureau pour me dire d'où est arrivée à ce que cette entreprise puisse acquérir telle ou telle terre. On ne peut pas être dans son bureau, commencer à dénoncer des choses où vous n'avez pas des éléments de terrains. Donc moi, ici, je n'ai pas répondu aux organisations mais j'ai répondu à la population parce que c'est ça ma responsabilité. Je n'ai pas entendu un seul mot de Greenpeace pour saluer que la RDC, aujourd'hui, est reconnue mondialement comme pays solution à la lutte contre le réchauffement climatique et que nous avons pris l'engagement de protéger nos forêts.

DW : Parlons du moratoire contre l'exploitation des zones forestières. Expliquez-nous la discussion qu'il y a autour de ce moratoire : il y a d'abord eu signature pour la levée de ce moratoire, puis on a arrêté cette levée. 

Eve Bazaiba : Je vais vous expliquer ceci. Le moratoire, c'est une mesure provisoire et conservatoire. Et ce moratoire a été édicté dans notre pays en 2002. Nous sommes aujourd'hui à la veille des 20 ans de cette mesure. Un gouvernement responsable ne peut pas travailler avec des mesures provisoirement définitives. Ça, c'est la logique. Deuxièmement, ce moratoire a été pris dans quel contexte ? En 2002, nous étions dans un contexte où le pays n'était pas unifié. Du coup, il n'y avait pas la possibilité de gérer toute l'étendue du territoire. C'est pourquoi, lorsque moi-même j'étais aux négociations du dialogue inter-congolais, nous avons demandé au gouvernement de la République, à ce moment basé à Kinshasa, de stopper un moratoire. On ne peut plus octroyer des concessions à qui que ce soit jusqu'à ce que nous puissions avoir des cadres juridiques par rapport à l'adjudication, c'est à dire quelqu'un qui vient dire "je suis un investisseur, je viens investir soit dans l'exploitation ou dans la conservation. J'ai besoin d'autant de terre". Mais ça doit faire l'objet des appels d'offres, d'un marché d'adjudication. Et cette mesure d'adjudication s'est arrêtée, ce décret a été pris.  
Au moment où nous parlons, de 2002 à ce stade, bien qu'il y eût un moratoire, c'était comme un éléphant blanc : les gens continuaient à avoir des concessions. Mais la très fameuse entreprise Tradelink l’a obtenu quand ? C'était sous le moratoire. 

DW : Mais qui a attribué ces concessions ?

Eve Bazaiba : Justement, il y a eu un désordre. D'abord, il y a au niveau du village des chefs coutumiers qui ne comprennent pas la matière et les propriétaires des terres. Si quelqu'un vient et dit : écoutez, je vais vous amener le développement et je vais vous donner quelques puits d'eau, des forages et je vais construire une école… Mais j'ai besoin des terres pour les exploiter. Et vous allez avoir de l'emploi. Alors ils les laissent. Ils donnent les concessions au niveau des communautés locales, au niveau de la province, au niveau de la ville, jusqu'au niveau du gouvernement. 
Il y a aussi des partenaires internationaux qui viennent aussi, qui ont besoin de ça, qui vous parlent des investissements. On dit : j'ai la forêt et si cette forêt peut m'amener l'emploi, le développement, des terres en emphytéose. Il y a des contrats de 25 ans, il y a des contrats de 50 ans, il y en a d'autres qui viennent même pour l'exploitation minière de 99 ans. C'est là où on a suspendu partout et lorsque le gouvernement est arrivé, j'ai pris mon temps pour contrôler cela. Nous avons dit donc, ce moratoire ne tient pas. Il faut des mesures plus contraignantes, plus coercitives, qui amènent à la gestion responsable, durable et rationnelle de nos forêts.