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Une bavure de l'armée dans la mine de Tamou au Niger ?

27 octobre 2022

L'armée nigérienne dit avoir tué sept djihadistes sur le site d'orpaillage de Tamou, près du Burkina. Mais, des témoins évoquent une "énorme bavure".

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Des enfants et orpailleurs dans une mine d'or clandestine (illustration)
Un site d'orpaillage clandestin, c'est "comme un gros village"Image : Thierry Bresillion/AA/Picture alliance

Un raid de l'armée du Niger a fait officiellement sept morts et 24 blessés, lundi dernier [24.10.22]. L'opération s'est déroulée sur un site d'orpaillage clandestin à Tamou, dans la région de Say, près du parc du W, non loin de la frontière avec le Burkina Faso.

Ce que le ministère de la Défense présente comme une opération anti-djihadiste réussie est considérée par la société civile nigérienne, comme une "énorme bavure" des forces de défense, qui aurait en réalité fait beaucoup plus de victimes que ce que prétendent les autorités. Des victimes civiles. 

Bombardements et tirs au sol

Une vidéo tournée sur le site de Tamou, pendant l'opération militaire, et transmise à la DW, montre des orpailleurs affolés, de la poussière, de la fumée, des incendies. 

La mine, "c'est comme un gros village", nous a raconté un orpailleur qui travaille à Tamou avec quatre de ses enfants et trois employés. Notre interlocuteur préfère garder l'anonymat. Nous l'appellerons Oumarou.  

Il se trouvait lui-même à quelques kilomètres de la mine au moment du raid, mais il a vu les hélicoptères de l'armée survoler la zone et larguer des obus. 

Ses enfants et ses employés étaient sur place. Ils ont été grièvement blessés dans les bombardements puis par des soldats à pied qui tiraient, selon leurs dires, "sur tout ce qui bougeait"

Dans une mine d'or au Ghana (illustration)
Les orpailleurs travaillent dans des conditions très précairesImage : picture alliance / dpa

Un des employés d'Oumarou a été tué sur le coup. Et en-dehors même des tirs de l'armée, les incendies ont fait de nombreuses victimes car de nombreux orpailleurs travaillaient sous-terre au moment du raid.

Des mineurs ensevelis et asphyxiés

"L'endroit a pris feu, raconte Oumarou, parce qu'on travaille avec des machines électrogènes. Nous travaillons au gaz, à l'essence, au gasoil. C'est avec ça qu'on creuse les trous. Donc la plupart ont pris feu, comme les hangars dans lesquels on travaille. Beaucoup sont morts dans les trous, asphyxiés".

Le ministère de la Défense du Niger présente cette intervention de l'armée comme une riposte à une attaque qui avait eu lieu le matin même, à l'entrée de Tamou. Et une autre attaque aurait eu lieu deux jours auparavant.

Les habitants de la localité ont vu les terroristes repartir tranquillement, à pied, vers l'ouest, nous a-t-on raconté. Alors ils ne comprennent pas que l'armée soit intervenue si tard - le lundi après-midi seulement - et, qui plus est, à une dizaine de kilomètres des lieux des dernières attaques terroristes.

Plusieurs témoins nous ont indiqué que les habitants de Tamou craignaient de raconter ce qu'ils avaient vu de peur d'être poursuivis pour complicité avec les djihadistes.

"Des non-dits et des mensonges"

Quoi qu'il en soit, de nombreux témoignages concordent pour mettre en doute le bilan officiel de l'opération qui aurait, en réalité, fait beaucoup plus de victimes que ce qu'annonce le gouvernement.

Le lanceur d'alerte Bana Ibrahim relève que "jusqu'à présent, le gouvernement du Niger n'a pas dévoilé l'identité des sept terroriste qu'il prétend avoir tués lors du raid aérien".

Il note également : "Nous n'avons pas vu non plus de matériel emporté qui aurait été récupéré, nous n'avons pas vu de moto qui aurait appartenu à ces djihadistes. Cela nous laisse perplexe et nous pousse à croire que la déclaration du ministre de la Défense est truffée de non-dits, de mensonges."

Un militaire nigérien sur le tarmac de Diffa, dans le sud-est (illustration)
L'armée nigérienne est très impliquées dans les opérations contre les djihadistes présents dans le SahelImage : ISSOUF SANOGO/AFP

Bana Ibrahim souligne aussi que le communiqué du ministère de la Défense est daté du 26 octobre 2022 alors qu'il a été publié la veille, le 25 octobre. Pour lui, cela montre "la précipitation et le peu de préparation qui ont présidé à la ponte de ce communiqué qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses aux questions de la population nigérienne".

Le directeur exécutif du Réseau des organisations pour la transparence et l'analyse budgétaire (ROTAB), Ali Idrissa, emploie les termes de "grosse bavure".

Lui aussi est d'avis que les autorités n'ont pas communiqué le vrai bilan d'une opération qui aurait en fait raté sa cible.

Lors de sa visite à des blessés du raid à l'hôpital, mercredi [26.10.22], Ali Idrissa a appris que quatre corps venaient d'être extraits d'un seul des nombreux puits du site de Tamou. "Imaginez, de dire qu'on s'est trompé en visant un site d'orpaillage... le nombre de gens qui sont là. C'est pour cacher la vérité aux gens", déclare-t-il.

Une puanteur insupportable

D'ailleurs, sur place, la puanteur des corps en décomposition toujours dans les trous de la mine serait devenue insupportable.

Oumarou raconte : "Aujourd’hui on m’a dit qu’on avait retrouvé certains blessés qui vivent encore dans la brousse, avec des balles dans le corps et qu’on essaie de transporter. Sur le site lui-même, on ne peut pas respirer parce que les corps des personnes mortes dans les trous ont commencé à se décomposer. Le site a totalement changé d’odeur. C’est nauséabond."

Plusieurs organisations de la société civile nigériennes réclament une enquête indépendante. Certains habitants vont jusqu'à réclamer la démission du gouvernement.

Oumou Djamila Moudachirou, la chargée de communication du ministère de la Défense, nous a assurés que seul le ministre Alkassoum Hindatou était habilité à répondre à la presse mais ce dernier n'a pas répondu à nos appels.