Soudan : risque de famine et de conflits ethniques
13 juin 2023Le Soudan continue de s'enfoncer dans une catastrophe humanitaire et, jusqu'à présent, il n'y a pas de fin en vue.
Le ministère soudanais de la santé décompte entre 800 morts et 6000 blessés dans les affrontements depuis huit semaines. Les chiffres sont probablements beaucoup plus élevés, car tous les cadavres ne sont pas ramassés et inventoriés dans les rues.
Vers une catastrophe humanitaire
"Nous risquons de nous diriger vers une famine", soutient Muzan Alneel, cofondatrice du centre de recherche Estanad au Soudan et chercheuse non résidente au sein du groupe de réflexion Tahrir for Middle East Policy. Selon elle, les ressources du pays diminuent parce que les cultures n'ont pas été plantées en raison du conflit qui fait rage au Soudan depuis la mi-avril.
Il y a environ huit semaines, de violents combats ont éclaté entre les forces armées soudanaises (SAF), dirigées par le général Abdel-Fattah al-Burhan, et les forces paramilitaires de soutien rapide (FSR) du pays, dirigées par le général Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom de Hemeti, au sujet de l'intégration des FSR dans l'armée régulière.
Le conflit en cours au Soudan a pratiquement paralysé l'économie soudanaise. L'inflation, l'effondrement du système financier, le manque d'eau, de nourriture, d'électricité, de médicaments et de personnel médical rendent la situation très préoccupante.
"C'est à ce moment-là que l'on s'attend à ce qu'un conflit se produise", souligne Muzan Alneel. "Et les facteurs historiques ajoutent bien sûr à la possibilité d'un conflit sur des lignes tribales ou ethniques, mais c'est aussi la propagande des deux milices, la FSR et la SAF, qui s'appuient sur les divisions ethniques, et qui en rajoutent."
Une guerre d'usure
"Notre quartier ressemble à une ville fantôme", a confié à la DW Yasir Zeidan, chercheur à l'université nationale du Soudan, qui a réussi à fuir le pays par bateau via Port-Soudan et vit actuellement en exil en Arabie saoudite.
Il précise qu'un voisin resté au pays l'avait prévenu cette semaine via Facebook Messenger que "les forces paramilitaires de soutien rapide ont pillé tout le quartier et sont entrées par effraction dans notre maison".
La population assiste impuissante à cette lutte à mort entre deux clans armés. Yasir Zeidan observe maintenant de loin les exactions des forces armées dans son pays : "C'est comme si, au lieu de combattre l'armée, comme c'était le cas au début de la guerre, les FSR se battaient maintenant contre les citoyens. On a l'impression qu'ils se battent contre les gens, qu'ils prennent leurs biens, qu'ils les arrêtent, qu'ils les tuent parce qu'ils craignent qu'ils soient avec l'armée, puis qu'ils entrent dans leurs maisons, les pillent, volent tout ce qu'ils peuvent."
Les Forces de Soutien Rapide du géneral Daglo essayent de déplacer le conflit dans le Darfour pour prendre appui sur les conflits ethniques prééxistants.
"Au cours des deux derniers mois, la lutte pour le pouvoir est devenue désespérée", remarque Hager Ali, chercheuse au sein du groupe de réflexion allemand GIGA Institute for Global and Area Studies. "Les combats à Khartoum ne se décideront pas uniquement par la puissance de feu et une victoire décisive n'est pas envisageable."
Ce point de vue est partagé par Theodore Murphy, directeur du programme Afrique au Conseil européen des relations étrangères : "La guerre s'est transformée en une guerre d'usure, où l'issue est déterminée par le camp qui peut rassembler le plus de soutien."
"Ce soutien peut être externe, c'est-à-dire de l'argent et des armes provenant de bailleurs de fonds régionaux, mais il peut aussi être interne, en ralliant les groupes tribaux qui s'identifient comme arabes ou africains sur le terrain au Soudan", ajoute l'expert. Theodore Murphy craint que cela donne une nouvelle vie au conflit local préexistant au Darfour occidental, fondé sur l'appartenance ethnique.
Le Darfour, un nouveau champ de bataille ethnique
Ce n'est pas la première fois que les différences ethniques dans la région du Darfour, à l'ouest du Soudan, où une partie de la population s'identifie comme arabe et l'autre comme africaine, alimentent un conflit violent entre les factions soudanaises.
Entre 2003 et 2005, le clivage arabo-africain a été à l'origine de crimes contre l'humanité ayant entraîné la mort d'environ 200.000 civils. Le président de l'époque, Omar al-Bashir, et sa milice supplétive, connue sous le nom de Janjawid, ont été tenus responsables par contumace de ces crimes par la Cour pénale internationale. Les Janjawids se sont ensuite transformés en Forces de soutien rapide.
"Dans le conflit actuel, lorsque le groupe africain a été invité à se ranger du côté de l'armée soudanaise, rivale des Forces de soutien rapide, il a accepté de le faire pour se venger des violences commises par les Arabes du Darfour", explique M. Murphy.
La région du Darfour est devenue le deuxième champ de bataille le plus disputé après Khartoum au cours du mois dernier. Le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies a déjà confirmé cette semaine un nombre alarmant de rapports faisant état d'exécutions arbitraires de civils non armés, de pillages et de viols dans la région.
Les témoins ont principalement accusé les forces paramilitaires de soutien rapide, mais aussi les forces armées soudanaises, quoique dans une moindre mesure.
L'organe des Nations unies a également déclaré qu'une attaque dans la ville de Kutum, dans le nord du Darfour, au début du mois de juin, avait fait un nombre non confirmé de morts et de blessés parmi les civils, y compris des personnes déplacées à l'intérieur du pays dans un camp de réfugiés.
"Aujourd'hui, des viols massifs sont à nouveau signalés au Darfour", a déclaré à l'agence de presse AFP Adjaratou Ndiaye, représentante de l'ONU Femmes au Soudan.
Des cessez-le-feu dans le vent
Le huitième cessez-le-feu a été signé pour 24 heures samedi dernier, mais les parties belligérantes ne semblent pas se diriger vers la paix.
L'un des principaux négociateurs de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, a même été déclaré "persona non grata" par le général al-Burhan, chef des forces armées soudanaises. Il l'avait déjà accusé d'être "partisan".
Le ministère allemand des affaires étrangères à Berlin a déclaré vendredi à l'agence de presse AP que la communauté internationale, y compris le gouvernement allemand, "continue à soutenir pleinement M. Perthes et ses efforts, et que M. Perthes continuera à faire son travail depuis le Kenya".