Allemagne-Chine : entre économie et droits humains
19 juin 2023Le Premier ministre chinois, Li Qiang, avait rendez-vous à 18h avec le chancelier Olaf Scholz, pour un dîner. Demain, le chef du gouvernement chinois sera officiellement accueilli en grande pompe, avec une cérémonie d'honneurs militaires.
Ce n'est qu'ensuite que débutera la septième édition de consultations entre les deux gouvernements, les premières après trois ans de pause. Elles auront lieu en présence de neuf ministres chinois, sous le thème "Agir ensemble, durablement".
Comme à chaque fois, les responsables allemands doivent se livrer à un numéro d'équilibriste sur la question des droits de l'Homme, pour parler des sujets qui leur tiennent à cœursans froisser le principal partenaire commercial de l'Allemagne.
Rivale et menace ?
Le gouvernement d'Olaf Scholz a présenté sa nouvelle stratégie nationale de sécurité mercredi dernier [14.06.23] et elle reproche aux autorités de Pékin non seulement de mettre "de plus en plus sous pression" la stabilité régionale et la sécurité internationale, mais aussi de continuer à bafouer les droits humains. La Chine agit "à l'encontre de nos intérêts et valeurs", peut-on lire dans le document.
L'un des derniers exemples en date qui illustre ces propos est la rencontre du ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, avec son homologue chinois, lors d'une conférence à Singapour.
Boris Pistorius avait déclaré que la participation d'anciens pilotes de chasse allemands à un programme de formation de l'armée de l'air chinoise devait "cesser immédiatement".
Pour Thorsten Brenner, du groupe de réflexion German Public Policy Institute, à Berlin, cela "montre simplement que nous devons être vigilants. Pékin saisit toutes les occasions pour s'approprier des technologies de pointe ou des compétences et vient les chercher là où l'Allemagne les possède. Pour renforcer ses propres fondements industriels et militaires."
Le chef de la diplomatie chinoise a estimé quant à lui cet après-midi que le développement de son pays constituait une chance pour l'Allemagne, pas un défi, et encore moins une menace.
Xi et Poutine, Tawan, les Ouïghours...
Demeure néanmoins cette "amitié" gênante entre le président chinois et Vladimir Poutine. Des liens que les deux hommes affichent volontiers depuis le début de la guerre en Ukraine.
Autre points de dissension : les menaces chinoises sur Taïwan ou la violation systématique des droits des Ouïghours dans la région du Xinjiang (nord-ouest).
D'où l'appel du président du parti écologiste allemand, Omid Nouripour, en amont de la visite de Li Qiang : il faut parler avec la Chine de manière "franche". Omid Nouripour qui résume ainsi le point de vue allemand : "Nous ne voulons pas moins de coopération avec la Chine. Nous voulons moins de dépendance envers elle."
L'atout chinois
Oui mais voilà, la Chine est depuis 2016 le principal partenaire commercial de la République fédérale, avec un volume d'échanges de près de 299 milliards d'euros l'année dernière. Un chiffre qui a doublé en dix ans.
Même si les exportations allemandes en Chine sont en baisse et représentent 80 milliards de moins que les importations chinoises en Allemagne. La Chine n'est plus que le quatrième pays importateur de biens allemands dans le monde : principalement des voitures, des pièces mécaniques, des machines.
A contrario, l'Allemagne importe des appareils électroniques et des matières premières de Chine, des éléments indispensables aux nouvelles technologies. Ces produits transitent pour moitié par le port de Hambourg, que l'armateur chinois Cosco va contrôler à 24,99%. Le contrat vient d'être signé, après plus de deux ans de négociations difficiles.
Eberhard Sandschneider, politologue berlinois, estime que même si l'Allemagne tente de se montrer plus critique envers la Chine, ses capacités diplomatiques restent limitées : "Si le document du gouvernement était trop critique, les Chinois seraient vexés et annuleraient les consultations", estime-t-il.
Dissensions à Berlin
Le repositionnement allemand est d'autant plus délicat que, sur ce sujet aussi, les partis de la coalition au pouvoir (SPD, FDP, Verts) ont des divergences.
Les Verts se réclament davantage de valeurs morales au nom desquelles ils prônent un ton plus dur envers Pékin. Tandis que l'aile centriste du SPD est partisane d'une politique plus pragmatique et met en garde contre une stratégie qui pourrait être perçue comme antichinoise.
Le FDP, lui, veut favoriser d'abord les entreprises allemandes. Elles sont 5.000 à être implantées en Chine. Elles y profitent à la fois d'une main d‘œuvre nombreuse et pas chère et d'un marché intérieur gigantesque.
La Chambre de commerce et d'industrie demande aux responsables allemands de plaider en faveur de meilleures conditions de travail en Chine : pour que la relation soit mieux équilibrée, il faudrait que les mêmes règles du jeu soient en vigueur de part et d'autre.